Je conçois l’histoire comme un certain nombre de choses : une sorte de pratique savante qui place les archives (de toutes sortes) au cœur de sa pratique, une conversation entre le moment présent et le passé, une façon de penser à l’expérience et la vie humaine et plus qu’humaine à travers le temps. Quelle que soit la définition que nous donnons à l’histoire, j’aime la faire au sens large, de manière à reconnaître et à inclure la diversité des lieux et des personnes qui produisent l’histoire. Antoinette Burton écrit que les historien.ne.s peuvent utiliser le « gros bout du bâton de l’histoire » pour effectuer une sorte de contrôle des frontières intellectuelles, en définissant ce qui est reconnu comme une recherche historique légitime et ce qui ne l’est pas. Certaines des idées les plus novatrices et les plus durables sur les histoires qui me préoccupent le plus – du colonialisme, de la race et du racisme, et du genre – sont venues et continuent de venir de personnes qui ne seraient pas habituellement considérées comme des historien.ne.s, mais dont le travail a des implications énormes sur la façon dont nous considérons et écrivons l’histoire.
Je vais choisir Saidiya Hartman, qui n’est pas une historienne proprement dit (voir la mise en garde ci-dessus) mais qui néanmoins nous montre comment écrire de manière très étoffée et magnigfiquement sur la vie de personnes exclues, mal représentées ou diminuées dans les archives historiques conventionnelles. Dans le cas de Hartman, il s’agit de femmes noires vivant dans l’esclavage et ses séquelles, mais je pense que son travail nous offre des exemples vraiment convaincants de la façon dont nous pouvons utiliser les archives les plus fragmentaires pour nous engager sérieusement dans la vie de ceux qui nous ont précédés.
Je vais aussi choisir shekonneechie.ca, qui n’est pas un historien mais un site Web géré par un collectif d’historien.ne.s autochtones. Il publie des billets de blogues qui présentent des recherches et des déclarations, des biographies d’historien.ne.s autochtones, une bibliographie permanente d’ouvrages d’historien.ne.s autochtones. Shekonneechie est une fenêtre sur les travaux d’érudition engagés et qui changent le monde, produits par des historien.ne.s autochtones basée.e.s au Canada, notamment Mary Jane Logan McCallum, Robert Alexander Innes, Brenda Macdougall, Sarah Nickel, Winona Wheeler, etc.
Colonial Relations : the Douglas-Connolly and the Nineteenth-Century Imperial World (Cambridge University Press, 2015). La recherche menée dans le cadre de ce livre, ainsi que la rédaction de celui-ci, a pris une éternité pour de nombreuses raisons : les archives étaient disséminées à travers le Canada, ainsi que dans les Caraïbes et au Royaume-Uni, je devais faire mes recherches et le rédiger alors que mes deux enfants étaient assez jeunes, la liste est longue. Il y a certaines parties du livre sur lesquelles j’espère revenir. L’une d’entre elles est la possibilité d’un autre type d’histoire politique, une histoire ancrée dans approche féministe de la vie des femmes, de la famille et de ce que l’on appelle le « privé », et une évaluation critique de la violence de la gouvernance coloniale, passée et présente. L’autre est l’effort de relier l’histoire du commerce de la fourrure aux histoires globales plus larges du colonialisme.
En termes d’heures de travail, le plus grand défi a probablement été de trouver un responsable de programme local pour une série particulière de réunions de la SHC. Mais les plus grands défis ont été ceux liés à la façon dont nous avons compris et encadré l’organisation. L’un d’eux a été de changer le nom d’un prix du livre, du prix Sir-John-A.-Macodnald au prix du meilleur livre savant de la SHC. Il aurait pu s’agir d’un processus administratif entrepris par le Conseil de la SHC, mais nous en avons plutôt discuté dans le Bulletin, dans les commentaires sollicités et lors d’une AGA mémorable à Regina. Au cours des années qui ont suivi, nous avons assisté à des conversations plus difficiles sur la façon dont le Canada peut et doit reconnaître son histoire envers les peuples autochtones. La déclaration du Conseil de la SHC sur le Canada et le génocide, publiée le 1er juillet 2021, s’inscrit dans cette lignée et poursuit également la longue tradition de la SHC de s’engager dans des questions d’importance publique auxquelles l’histoire, et l’interprétation historique, sont fondamentales.
Ce qui n’a jamais été un défi, ce fut de travailler avec le remarquable personnel de la SHC, Michel Duquet et Marielle Campeau. Michel est un modèle de communication claire, d’organisation et d’engagement, et j’ai beaucoup appris en travaillant avec lui.
Une grande partie de ce que nous réalisons en tant qu’historien.ne.s, nous l’accomplissons par nous-mêmes, ou principalement par nous-mêmes. Mais le travail de l’histoire est en fin de compte social et collectif, et des organisations comme la SHC nous donnent la chance de faire notre travail avec d’autres. Les conseils de la SHC des deux dernières années ont relevé les défis d’un monde où il n’était plus sécuritaire de se réunir avec créativité et engagement, et j’ai pris plaisir d’assister aux webinaires et aux réunions. Mais je serai heureuse de retourner à n’importe quel type de réunion en présentiel, et de faire ce type de travail collectif ensemble.
Alors que la SHC amorce son deuxième siècle, nous devrons nous adapter à ce à quoi ressemblera le monde post-pandémique. Je ne pense pas que beaucoup d’entre nous aient imaginé que nous passerions plus de deux ans à travailler principalement à distance, mais comme les historien.ne.s le savent bien, il est impossible de prédire l’avenir. Par ailleurs, la SHC continuera de s’attaquer aux problèmes persistants qui ont marqué la dernière décennie et qui ne sont pas faciles à résoudre. Il s’agit notamment d’un paysage postsecondaire qui a connu, du moins jusqu’à il y a quelques années, une baisse des inscriptions dans les programmes d’histoire conventionnels. Il s’agit également d’une discipline qui n’a pas attiré, retenu ou célébré comme il se doit les praticien.ne.s autochtones et racialisé.e.s, et dont les rangs ne ressemblent de plus en plus ni à la population canadienne, ni à nos étudiant.e.s. Ces défis sont aussi la façon dont nous répondons et contribuons à un pays qui doit faire face à son passé et à son présent colonial. Nous devrons également trouver des moyens d’aborder les questions relatives à la précarité, et ce que cela signifie pour les historien.ne.s qui n’ont pas été servi.e.s par la structure de l’emploi universitaire qui est un jeu à somme nulle où le gagnant /la gagnante rafle tout.
Ma seule question serait : qu’est-ce qui vous a le plus surpris ? Quelle est la partie du métier de président de la SHC que vous aviez le moins prévue ? En ce qui me concerne, je suis surtout surprise par le fait que cela me manque. J’ai apprécié mon mandat de présidente de la SHC, mais je l’ai trouvé stressant aussi : ce poste est un honneur et je voulais faire du bon travail. Mais maintenant que c’est terminé, le travail régulier avec des collègues de tout le pays me manque, et je suis heureuse de pouvoir contribuer au travail de la SHC au sein des comités, ou partout où je peux être utile.