Je suis un peu allergique à ces définitions, car elles suggèrent une approche immuable et des frontières disciplinaires fixes qui peuvent être marquées et contrôlées. Mais si je dois en faire un portrait, je vois la discipline historique non pas comme une ville fortifiée, mais plutôt comme un lieu d’appartenance dynamique, diversifié et vivant. Mais il y a beaucoup de choses qui nous unissent en termes de méthodologie et de notre engagement commun pour la recherche empirique et la transparence des sources. Notre formation et notre sensibilité sont donc, à divers degrés, différentes de celles d’autres disciplines, et nous bénéficions égalemeent d’une conversation avec ce monde des chercheurs/chercheuses plus large ainsi qu’avec les communautés que nous étudions.
Un certain nombre d’historien.ne.s m’ont inspiré au fil des ans. L’engagement de Raphael Samuel à ouvrir le processus de recherche historique à des communautés souvent marginalisées continue de le faire. Il a également soulevé des questions critiques pour nous, en tant qu’historien.ne.s, sur notre métier et la politique de ce que nous faisons. Cela aussi est nécessaire, car les structures disciplinaires sont souvent normalisées à un point tel qu’elles nous sont invisibles. Je considère maintenant l’ « histoire » comme un projet social et non seulement comme une discipline.
Je vais vous en donner deux, car ce sont des livres très différents et ils ont eu des impacts différents. Le premier est Booze : A Distilled History (Between the Lines 2003). Celui-ci racontait une histoire qui n’avait jamais été intégrée dans un seul ouvrage auparavant. Il s’agissait d’une étude nationale qui tentait de synthétiser un grand nombre de documents épars et d’y ajouter de nouvelles idées de recherche. Elle a suscité un grand intérêt de la part du public et des universitaires. D’après le nombre de demandes que j’ai reçues pour en parler et le nombre de citations savantes qu’elle a suscitées, je pense pouvoir conclure qu’elle a laissé une impression durable sur l’histoire sociale et culturelle du Canada. Il a fallu environ cinq ans pour le terminer.
En revanche, mon travail sur Lunch-Bucket Lives : Remaking the Workers’ City (Between the Lines 2015) s’est étalé sur quelque 37 ans, en commençant par une thèse de doctorat, puis en passant par de nombreuses nouvelles recherches et écrits jusqu’au produit final. J’ai intégré presque tous les aspects de la vie de la classe ouvrière à Hamilton, en Ontario, entre les années 1890 et les années 1930, et j’ai tenté de donner une idée de la façon dont la vie des travailleurs a fondamentalement changé au cours de ce demi-siècle. Je voulais que les différentes parties se rejoignent d’une manière que les études séparées sur la pauvreté, les grèves, le travail des femmes ou autres n’avaient pas pu faire. Et je voulais offrir de nouvelles perspectives analytiques dans ce que j’ai appelé le « réalisme de la classe ouvrière ». Je pense avoir réussi. Reste à savoir si cela contribuera à façonner les futures recherches en histoire.
Il y avait en fait deux défis connexes. Le premier était le triste état de la structure administrative de la SHC lorsque je suis entré en fonction. Notre mode de fonctionnement était comme si nous étions encore en 1922. La société avait considérablement développé ses programmes et ses activités au cours de la décennie précédente, mais elle n’avait pas offert le soutien institutionnel nécessaire à toutes ces initiatives. Nous avions une secrétaire dans un recoin de l’immeuble de Bibliothèque et Archives Canada à Ottawa qui accomplissait un nombre restreint de tâches et une trésorière adjointe à temps partiel qui s’occupait de la tenue des livres. Autrement, le/la président.e et les membres du Conseil s’acquittaient des tâches administratives essentielles, avec tous les problèmes de diffusion de l’information à travers le pays et de rotation parmi ces personnes. J’ai entrepris de convaincre les membres que nous devions élargir notre base financière pour être en mesure d’engager un.e directeur/trice général.e et de louer un espace de bureau adéquat. J’ai souvent pensé que la grande compétence de Michel Duquet et la transformation administrative de la société qu’il a lancée était mon plus grand legs à la SHC.
Deuxièmement, il était devenu évident que nous avions besoin d’une meilleure administration parce que nous avions une bataille majeure à mener à l’égard de Bibliothèque et Archives Canada. Au cours de l’été 2007, BAC a annoncé une réduction drastique des heures d’ouverture de ses locaux. Après avoir envoyé une série de lettres publiques au ton tranchant, j’ai mené une forte campagne de résistance qui a réuni plusieurs organisations aussi concernées que la SHC et une grande réunion avec l’archiviste/bibliothécaire en chef. Il a fait marche arrière, promettant de reconsidérer les heures de service et de créer un comité consultatif d’utilisateurs.
Dans la mesure du possible, assistez aux réunions annuelles, même si vous n’offrez pas de communication. C’est un lieu extrêmement important pour le réseautage et pour se faire une meilleure idée de la profondeur et de l’étendue de la profession. Et il y a généralement de très bonnes danses à Cliopaloosa (mon autre legs à la SHC).
L’histoire en tant que discipline a quelque peu perdu de sa popularité au cours de la dernière décennie. Les inscriptions ont chuté, l’offre de cours a diminué, les départements ont perdu des professeur.es par attrition, et de nombreux/ses nouveaux/elles doctorant.es n’ont pas pu obtenir de postes universitaires à temps plein, l’enseignement contractuel précaire s’étant répandu à grande échelle. Ainsi, une organisation dont la majorité des membres a toujours été composée de professeur.es d’université axé.es sur la recherche et la titularisation doit se remettre en question. La SHC devrait mener des discussions nationales sur ce que devrait être la formation des diplômés en histoire et où devrait mener un doctorat en histoire. En même temps, elle devrait continuer à promouvoir une recherche novatrice, de haute qualité et responsable socialement, ainsi que des réseaux de dialogue et de débat enrichissants entre les chercheur.es.
Cela valait-il la peine de consacrer tout le temps et l’énergie nécessaires pour présider la SHC ? Ma réponse : sans aucun doute. Au-delà de toute liste de réalisations, j’ai été très impressionné par la collégialité et la solidarité que les historien.nes de toutes générations de tout le pays ont témoignées envers l’un.e l’autre. Nous avons accompli beaucoup de choses ensemble et nous continuerons certainement à le faire.