Je me suis permis de rédiger ma propre définition, grâce à Mikhail Bakhtin : l’histoire est un voyage intellectuel dans le passé effectué par un éventail de praticien.ne.s – érudit.e.s et populaires, et les chercheur.e.s qui vulgarisent l’histoire – qui, en utilisant des preuves et guidé.e.s par une conscience unique façonnée par le dialogue et les interactions avec d’autres voix et textes, articulent des interprétations particulières du passé à des moments spécifiques. Mais l’histoire n’est jamais complète, elle est toujours sujette à être révisée et, comme l’humanité elle-même, elle ne peut pas être parachevée.
C’est difficile de choisir, mais je citerais trois qui se démarquent : Fernand Braudel, Eve Kosofsky Sedgwick et Henry Glassie, pour des raisons différentes. L’œuvre de Braudel continue de résonner pour ses innovations dans la conceptualisation du temps historique et la démonstration étendue de ses idées dans son classique La Méditerranée. Eve Kosofsky Sedgwick était une grande historienne de la littérature et une humaniste, et son travail théorique a influencé mes propres approches de l’histoire des LGBTQ2+. Elle continue à m’inspirer par son analyse virtuose, couche par couche, du langage des deux derniers siècles auteur duquel notre histoire a été communiquée.Passing the Time in Ballymenone de Henry Glassie, est l’exemple par excellence de l’histoire locale et de l’écriture historique sous forme de dialogue. Plutôt que de proposer un récit linéaire et monologique, il présente l’histoire comme une concaténation polyphonique de voix, tant de l’auteur que de ses collaborateurs/trices, les ainé.e.s de la communauté. Il s’agit d’un modèle d’écriture historique démocratique.
Je suis d’accord avec la prémisse sur l’orgueil excessif. Les travaux d’histoire n’ont de valeur que dans la mesure où ils sont utiles aux autres. Mais la pratique de l’histoire va bien au-delà des écrits savants et s’étend à la pratique de l’histoire publique, y compris les expositions dans les musées, l’interprétation de sites historiques et l’engagement avec divers publics dans la sphère publique.
En ce qui concerne les écrits, mon intention, en appliquant la théorie critique à des sujets historiographiques tels que l’incident de Seven Oaks, la Série du centenaire canadien, la série documentaire de CBC/Radio-Canada : Le Canada – une histoire populaire, le sergent Mitsui, « Oscar Wilde » de Regina et l’histoire vernaculaire, était de contribuer à élargir notre conceptualisation de l’histoire et d’inciter les praticien.ne.s à réfléchir plus profondément aux questions de forme et de contenu. Dans le livre Muskox Land, j’ai également utilisé différents modèles d’écriture pour proposer des méthodes alternatives de structuration de l’histoire. Récemment, j’ai lu une partie du travail de Jakub Muchowski, un universitaire polonais qui a largement appliqué mes concepts d’histoire vernaculaire dans ses études sur les pratiques de vulgarisation historiques sur les sites de l’Holocauste en Europe. Il est gratifiant d’avoir contribué à des concepts considérés comme utiles aux études sur l’Holocauste.
En ce qui concerne la pratique de l’histoire publique, un objectif primordial a été de promouvoir la diversité et l’inclusion des groupes socioculturels et des peuples dont l’histoire a été ignorée jusqu’à présent. Dans mes propres écrits, il s’agissait de Métis, d’Inuits, de Canadiens d’origine japonaise et de personnes LGBTQ2+, ainsi que d’historiens qui font des travaux de vulgarisation et d’aînés de ces communautés et d’autres. À Parcs Canada, nous souhaitions que les collaborations avec divers groupes sous-représentés feraient progresser la commémoration et l’intégration de leurs histoires dans le réseau des lieux historiques nationaux. Sur une période de 20 ans, ces initiatives ont contribué à la désignation de plus de 200 sujets de l’histoire de femmes, de peuples autochtones et de communautés ethnoculturelles.
Il reste encore du travail à faire sur ces aspects et surtout sur l’histoire des personnes LGBTQ2+ qui a été peu prise en compte jusqu’à présent. J’ai eu la chance de participer au comité consultatif sur l’exposition La Salle de l’histoire canadienne du Musée canadien de l’histoire, qui est un bon point de départ dans le traitement de l’histoire des LGBTQ2+. Je participe maintenant à d’autres efforts pour faire avancer cette histoire au Musée canadien des droits de la personne, de sorte que le travail se poursuit.
Le plus grand défi a été les compressions de 2012 dans la culture et le patrimoine mises en œuvre par l’ancien gouvernement du premier ministre Stephen Harper. Ces coupures ont entraîné des changements radicaux à Bibliothèque et Archives Canada et nous avons dû faire pression sur BAC pour qu’elle maintienne ses services aux chercheurs dans le contexte de ces coupures. Les membres du conseil d’administration et de l’exécutif de la SHC se sont mobilisés et ont contribué à mener un vaste effort pour au moins atténuer les retombées de ces réductions.
Participez à un groupe de travail, développez un réseau et engagez le dialogue sur des questions importantes pour vous et pour les autres. En même temps, ne limitez pas vos contacts aux personnes que vous percevez comme partageant les mêmes idées que vous. Engagez des discussions et des débats avec des personnes ayant des affinités idéologiques différentes et soyez ouvert.e aux nouvelles perspectives qui émergent de ce dialogue.
Je dirais que la SHC sera en bonne position lorsqu’elle offrira à ses membres des forums pour discuter et débattre d’un large éventail de sujets historiques, y compris des questions difficiles ou litigieuses. Si la SHC peut contribuer à favoriser des discussions ouvertes et respectueuses entre les praticien.ne.s, elle remplira l’un de ses rôles clés en tant que forum de recherche intellectuelle, de diffusion des connaissances et d’échange.
Il s’agirait de deux questions : premièrement, qu’est-ce que votre expérience de praticien.ne vous a appris sur les gens, qui nous sommes, ce qui nous motive, ce qui a changé dans le passé ou qui est plus ou moins demeuré le même ? Deuxièmement, à la lumière de ces connaissances, que pouvons-nous faire en tant qu’historien.ne.s pour les appliquer afin d’améliorer la situation des membres de la communauté humaine ?
Ma réponse à la première question est que j’essaie toujours de trouver des réponses à ces énigmes historiques. Quant à la deuxième question, notre responsabilité envers l’humanité est une raison suffisante pour être attentif/ve au droit de tous les peuples à partager notre passé et notre avenir collectifs, alors que nous collaborons pour mieux nous comprendre et comprendre les personnes que nous étudions. Nous avons tous des comptes à rendre.
Lyle Dick
Chercheur principal
Know History