APPEL À COMMUNICATIONS
Journée d’étude
Organisée dans le cadre des travaux de la Chaire de recherche sur les rapports franco-autochtones dans les Amériques de l’Université York
Québec, Monastère de l’Hôpital Général de Québec
23 mai 2025
Les traditions orales, constituées de différents témoignages ou messages transmis de génération en génération exclusivement par la parole, se distinguent de l’histoire orale par leur dimension ancestrale (Vincent, 2013). Si elles offrent des visions complémentaires des événements du passé par rapport aux documents rédigés principalement par des Européens, la recherche universitaire entretient souvent un rapport ambivalent à l’égard de ces sources de renseignements. Largement ignoré par une historiographie essentiellement centrée sur la perspective coloniale et ses principaux acteurs, le point de vue des Premiers Peuples sera reconsidéré à partir des années 1970, où on assiste à la montée des mouvements de contestation anticolonialiste. Dans cette perspective, certains chercheurs comme Gilles Bibeau (2020), Denys Delâge (2007), Georges E. Sioui (2023) et Bruce Trigger (1986) ont perçu les traditions orales comme le ferment d’une histoire autochtone qu’il convient de comparer aux écrits rédigés par les allochtones pour connaître les sentiments véritables des membres des Premières Nations. Au cours du dernier quart de siècle, s’est également posée la question de la possibilité d’écrire une histoire commune aux Autochtones et aux allochtones en croisant les sources écrites et les traditions orales. Plusieurs voix ont d’abord argué qu’il existerait une incompatibilité conceptuelle entre l’histoire traditionnelle et les sources orales. Nier cette disparité aurait pour résultat de dénaturer la perception autochtone du passé véhiculée par les traditions orales (Morantz, 2001 ; Vincent, 2002). Au fil du temps, les positions ont néanmoins évolué. Enfermer l’« Occident » dans la sphère de l’écrit et les « Autochtones » dans celle de l’oralité serait en effet réducteur. L’Europe a ses traditions orales et les Premières Nations ont produit depuis plusieurs siècles des archives écrites tout en voyant émerger ces dernières décennies des historiens universitaires en leur sein (Lainey, 2010). Comme le remarquait Leila Inksetter, « une opposition formelle entre archives écrites allochtones et traditions orales autochtones ne peut que produire un faux débat » (Inksetter, 2020-2021). Sur le plan juridique, la reconnaissance de la valeur des récits ancestraux pour défendre des revendications territoriales témoigne encore d’une évolution considérable des mentalités. Rendu en 1997, l’arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique marque un tournant, en stipulant que les récits ancestraux peuvent désormais être reçus comme preuve par la justice (Beaulieu, 2000).
Comme tout champ d’investigation, l’étude des traditions orales autochtones présente, par sa relative nouveauté, certains écueils. La question de sa fiabilité est en effet au centre des interrogations des historiens et des ethnologues. En vertu du manque de repères temporels, de la présence de certains anachronismes et d’une part de légendaire contenu dans les récits retransmis, leur étude offre certains défis pour les chercheurs. À ces difficultés s’ajoutent la contamination du présent sur le passé et les aléas de la traduction. Malgré ces obstacles, elle
reste une source d’information essentielle pour développer une vision critique sur l’histoire des contacts euro-autochtones et sur l’espace colonial. En effet, les récits ancestraux recueillis par les membres des Premières Nations nous renseignent sur l’état d’esprit de ces communautés face à la présence des Européens et sur le rapport au monde qu’elles entretiennent (voir l’étude des doodemag anichinabés dans Bohaker, 2023).
Organisée dans le cadre des travaux de la Chaire de recherche sur les rapports franco-autochtones dans les Amériques de l’Université York, la journée d’étude projetée sera l’occasion de confronter plusieurs segments de l’histoire officielle avec les versions transmises par les anciens des Premières Nations. Les communications proposées pourront s’orienter soit sur l’analyse discursive des différentes versions recueillies, soit sur des questions d’ordre méthodologique liées à la cueillette des récits auprès des membres des différentes communautés autochtones, soit encore sur leur interprétation.
Les propositions de communication accompagnée d’une brève notice biobibliographique, devront parvenir aux adresses suivantes : mpioffet@yorku.ca et matthieu.tardif@umontreal.ca avant le 30 novembre 2024. Les résumés d’intention, de 150 à 200 mots, peuvent être rédigés en français ou en anglais.
Bibliographie
Beaulieu, Alain, « Les pièges de la judiciarisation de l’histoire autochtone », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 53, no 4 (2000), p. 541-551.
Bibeau, Gilles, Les Autochtones, la part effacée du Québec, Montréal, Mémoire d’encrier, 2020.
Bohaker, Heidi, Doodem and Council Fire: Anishinaabe Governance through Alliance, Toronto, University of Toronto Press, 2020.
Delâge, Denys, « La tradition orale de l’arrivée des Européens à New York », dans Jaap Lintvelt, Réal Ouellet et Hub. Hermans (dir.), Culture et colonisation en Amérique du Nord : Canada, États-Unis, Mexique, Québec, Septentrion, 1994, p. 203-214.
Delâge, Denys, « Kebhek, Uepishtikueiau ou Québec : histoire des origines », Les Cahiers des dix, nos 61, 2007, p. 107-129.
Inksetter, Leila, « Histoire et historicité autochtones : nouveaux défis, nouvelles possibilités ». Recherches amérindiennes au Québec, vol. 50, no 3, 2020-2021, p. 43-54.
Lainey, Jonathan C., « Le fonds Famille Picard : un patrimoine documentaire d’exception », Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, no 2, 2010, p. 94-105.
Morantz, Toby, « Plunder or Harmony? On Merging European and Native Views of Early Contact ». dans Germaine Warkentin et Carolyn Podruchny (dir.), Decentring the Renaissance: Canada and Europe in Multidisciplinary Perspective, 1500-1700, Toronto, University of Toronto Press, 2001, p. 48-67.
Sioui, Georges E., Pour Une autohistoire autochtone de l’Amérique, Québec, Presses de l’Université́ Laval, 2023.
Trigger, Bruce G., « Ethnohistory: The Unfinished Edifice », Ethnohistory, vol. 33, no 3 (1986), p. 253-267.
Vincent, Sylvie, « Compatibilité apparente, incompatibilité réelle des versions autochtones et occidentales de l’histoire : L’exemple innu », Recherches Amérindiennes au Québec, vol. 32, no 2, 2002, p. 99-106.
Vincent, Sylvie, « Présentation », Recherches Amérindiennes au Québec, Traditions et récits sur l’arrivée des Européens en Amérique, 1992, vol. 22, no 2-3, p. 3-7.
Vincent, Sylvie, « La tradition orale : une autre façon de concevoir le passé », dans Alain Beaulieu et al. (dir.), Les Autochtones et le Québec. Des premiers contacts au Plan Nord, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2013, p. 75-91.
Vincent, Sylvie, avec la collaboration de Joséphine Bacon, Le récit de Uepishtikueiau : l’arrivée des Français à Québec selon la tradition orale innue, s. l., [L’Institut culturel et éducatif montagnais], 2003, 44 pages.