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La décolonisation, l’indigénisation et les départements d’histoire au Canada

Mary Jane Logan McCallum, Julie Nagam, James Hanley, Anne-Laurence Caudano and Delia Gavrus

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Ce texte a préalablement été publié dans le #43.2 du Bulletin de la SHC, pp. 32-33 (en anglais seulement) et sur le site d’ActiveHistory le 15 septembre 2017 (en anglais seulement).

AnishanabeIntroduction

Le but de cet article est de documenter certaines des activités récentes de réflexion critique sur la colonisation et la décolonisation que nous avons entreprises en tant que professeurs d’histoire, universitaires et enseignants au Canada œuvrant dans un département d’histoire en ce début du XXIe siècle. Un groupe d’universitaires autochtones a rigoureusement critiqué les efforts déployés par l’Université pour répondre aux appels à l’action de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) et pour « Intégrer une culture autochtone à l’université ».  Ces critiques mettent l’accent sur l’écart apparemment considérable entre les objectifs administratifs et les préoccupations pratiques sur le terrain et l’élaboration d’autres philosophies de l’éducation postsecondaire. [1]  Les cours obligatoires comme l’Indigenous Course Requirement (ICR) établi à l’Université de Winnipeg en 2016, sont un exemple utilisé dans de nombreuses critiques, les chercheurs ayant identifié les lacunes du modèle et exprimé leur inquiétude à propos des efforts minimes que l’université entreprend alors qu’un changement beaucoup plus important est nécessaire. [2]  Dans le cadre de cette discussion, les chercheurs estiment que les universités doivent amorcer des plans d’embauche sérieux et s’assurer que les professeurs autochtones soient responsables de ce processus.  Ils maintiennent également que les départements d’études autochtones/de Premières nations devraient diriger et éclairer ce processus dans toutes les universités. Les départements d’histoire ont également un rôle à jouer et, dans notre département, cette conversation a été menée par des universitaires autochtones et soutenue énergiquement par nos collègues.

D’une certaine façon, notre département se trouve présentement dans une situation unique pour entreprendre un travail d’indigénisation/de décolonisation. La direction de notre département appuie l’enseignement et l’érudition de l’histoire autochtone et de nombreux membres du département sont intéressés à acquérir un sens de l’alphabétisation en histoire autochtone (locale en particulier). Notre département est, au moins depuis les années 1980, un centre de recherche sur la traite des fourrures et l’ethnohistoire et a récemment mis en place un personnel considérable, engagé et diversifié dans le domaine de l’histoire autochtone (dont trois professeurs autochtones[3]) offrant un programme d’études réfléchi et maniable. [4]  Notre département entretient de bonnes relations de travail avec le département d’études autochtones.  De plus, l’Université de Winnipeg a donné la priorité à l’éducation autochtone et a été orientée par un groupe important d’étudiants autochtones qui se sont investis de façon critique dans la découverte, la révision et la compréhension de l’impact des histoires locales, nationales et mondiales de l’indigénéité et du colonialisme.

L’activité récente du département a été déterminée en partie par les orientations stratégiques de l’université, adoptées à la fin de 2015 à la suite d’un vaste processus de consultation, qui a identifié l’indigénisation comme l’une de cinq priorités stratégiques clés. En même temps, une initiative dirigée par des étudiants et portant sur l’obligation de suivre des cours d’études autochtones a fait l’objet d’un débat animé au Sénat. L’approbation de principe de cette exigence au printemps 2015 a mené à la création d’un comité consultatif à l’échelle de l’université dont la recommandation a été adoptée par le Sénat en novembre 2015. En même temps, en juin 2015, la Commission a publié ses conclusions qui ont été diffusées à un auditoire de plus de 700 personnes dans la salle Riddell. Le département d’histoire avait l’expertise, l’engagement et la responsabilité pour répondre à celles-ci. [5]

L’appui « en principe » du Sénat de l’université à un RIC a déclenché la création d’un comité départemental spécial. Ce comité comprenait tous les membres du département qui participeraient probablement à la prestation d’un tel cours et, même si cela n’était pas évident pour tous à l’époque, le comité a établi l’importance de la réflexion collective et de la responsabilité de ce travail. La valeur de cette démarche est devenue évidente lorsque l’université a mis en œuvre la deuxième étape de ses orientations stratégiques, ce qu’elle a appelé son Plan intégré de recherche et d’enseignement (PIRE) à la fin de 2015 et au début de 2016. Les consultations entourant ce plan ont donné au comité spécial du département l’occasion de réfléchir davantage à ce que signifie l’expression « indigénisation » au niveau de la faculté, du département et de l’établissement. Un membre du département était responsable de rédiger la réponse en élaborant un document qui a été à son tour examiné, révisé et renforcé par d’autres membres du comité de l’ICR du département.

Ce document a aidé à articuler les activités et les possibilités au niveau départemental. Le document complet se trouve à l’adresse suivante : http://www.uwinnipeg.ca/iarp/docs/written-submissions/Members-of-the-History-Department-3.pdf (en anglais). Un autre petit pas, mais concret, a suivi.  Lors de l’Assemblée générale annuelle de notre département (une activité d’une journée complète), nous avons tenu une séance en petits groupes sur « l’indigénisation et la décolonisation en classe ».  À la suite de cette séance bien remplie et animée, le département a créé un comité d’indigénisation pour poursuivre la conversation et mettre en œuvre certaines de nos idées.  Bien que cela n’ait pas été clair pour tous à l’époque, la décision de créer un nouveau comité en plus du comité spécial existant sur l’ICR a été fortuite ; l’indigénisation et la décolonisation nous ont obligés à regarder au-delà des cours d’histoire autochtone.

L’un des premiers projets de ce comité a été d’élaborer une déclaration facultative qui reconnaît le territoire et l’histoire autochtones dans les plans de cours du département. L’élaboration de cette déclaration et son partage avec le département sont devenus une excellente occasion de discussion entre nous et avec nos étudiants. [6] À la suite de ces discussions, et dans le but de s’assurer que la déclaration ne devienne pas « un document type », le Comité est en train de la reformuler.  La nouvelle déclaration provisoire est :

Le département d’histoire de l’Université de Winnipeg reconnaît que nous vivons et travaillons sur les territoires ancestraux et traditionnels des nations anishinaabe, assiniboine, crie, dakota, métis et ojicrie.  Nous reconnaissons également que la discipline de l’histoire a été utilisée pour appuyer des programmes de dépossession et d’assimilation visant les peuples autochtones.  L’enseignement et l’apprentissage de l’histoire autochtone nous permettent de faire face à l’histoire coloniale et d’honorer et de respecter les gens qui ont habité cet endroit pendant des millénaires.

En plus de cette déclaration, le comité a préconisé la formation culturelle autochtone ou l’apprentissage par l’expérience sur le territoire visé par le Traité 1 et la culture métisse. La raison d’être de cette expérience était de faire plus que de régurgiter l’information du territoire et de permettre aux professeurs d’histoire d’être personnellement renseignés sur les cultures autochtones du Manitoba. Une deuxième initiative du comité a été d’instituer un prix d’essai de premier cycle en histoire autochtone.  Nous avons choisi de lier le prix aux cours de l’ICR et d’utiliser le prix pour encourager particulièrement les étudiants autochtones. À cette fin, nous avons demandé à ceux qui soumettent des essais au concours de s’auto-identifier et nous accordons la priorité aux essais écrits par des étudiants autochtones.  Comme nous n’avons actuellement pas de fonds pour le prix lui-même, nous sommes en train de « faire la quête » aux professeurs et de pouvoir donner un petit prix « modique ».  Pour plus d’informations sur le prix, voir : http://www.uwinnipeg.ca/history/awards/index.html. En plus du prix de premier cycle, le département a choisi d’accorder la priorité aux étudiants autochtones et aux étudiants qui étudient l’histoire autochtone comme récipiendaires de la nouvelle bourse d’études supérieures en histoire de l’Université de Winnipeg, remise chaque année à un étudiant qui commence ou poursuit des études supérieures en histoire.

Parmi les autres initiatives du département, mentionnons l’idée d’en savoir plus sur le nombre d’étudiants autochtones de premier cycle qui déclarent suivre une spécialisation en histoire. Nous avons constaté que 20 p. 100 des étudiants en histoire sont des étudiants s’identifiant comme Autochtones, soit environ 40 par année. Nous avons également élaboré une étude sur l’expérience des professeurs qui offrent des cours de l’ICR en 2016-2017. Cette étude permettra à la fois de documenter ce moment historique et de formuler des commentaires, des préoccupations et des conseils du point de vue de spécialistes de l’histoire autochtone.

Faire partie de ce comité a encouragé ceux d’entre nous qui n’enseignent pas de cours ou ne font pas de recherche en histoire autochtone ou canadienne à réfléchir à la façon dont nous pourrions répondre aux appels à l’action de la CVR. D’une part, elle nous a aussi incités à incorporer un contenu autochtone dans notre enseignement et nos recherches. Cette participation a également accéléré et réorienté les efforts disciplinaires de longue date pour recadrer les récits « occidentaux ». Dans l’histoire des sciences, par exemple, elle a fourni une nouvelle justification pour mettre en lumière les réinterprétations[7] et les défis récents de la notion de la « révolution scientifique » occidentale et, surtout, a démontré aux étudiants le lien entre le colonialisme au Canada et des thèmes plus vastes de l’histoire intellectuelle. Enfin, l’un d’entre nous a pris conscience de l’importance d’aller à la rencontre des chercheurs qui travaillent sur l’histoire et le savoir autochtones pour s’assurer que ces sujets soient représentés au programme d’une conférence nationale sur l’histoire et la philosophie des sciences.

Conclusion

Pour que l’indigénisation ait lieu au sein de grandes institutions comme les universités, il faut qu’il y ait des champions à tous les niveaux qui travaillent avec l’administration, les professeurs et les étudiants pour créer ce changement de paradigme. Le corps professoral doit être engagé et enrôlé parce que les épistémologies occidentales sont omniprésentes dans tous les aspects de l’université. Le département d’histoire est extrêmement fier d’être le chef de file dans l’élimination de ces obstacles et de faire place à des pratiques d’enseignement nuancées qui reconnaissent les visions du monde et les pédagogies autochtones dans le domaine de l’histoire.

[1] En fait, une grande partie de la couverture médiatique de la question de l’indigénisation dans les universités canadiennes portait principalement sur les décisions et les politiques administratives, tandis que les travaux d’érudition ont tendance à se concentrer sur le travail quotidien du corps professoral et du personnel pour produire du matériel pédagogique, élaborer des programmes d’études et améliorer les services aux étudiants.  Voir, par exemple, Catherine Porter,  » College Built for Canadian Settlers Envisions an Indigenous Future « , New York Times, 21 juin 2017, p. A6 ; et 2017 Meeting of the Native American and Indigenous Studies Association Panel : Decolonizing Academia, président Robert Innes, Université de la Saskatchewan, « Politics of Place : Resurgence Pedagogy in the Post-Secondary Classroom « , Lianne Marie Leda Charlie, Université d’Hawaii à Manoa,  » Reflections on the Implications of Wahkohtowin for Research and Teaching « , Robert Hancock, University of Victoria  et  » Circular constructions of land and property in the Quebec Education Program : Implications for decolonization « , Christopher Reid, Université McGill.
[2] Voir par exemple, Adam Gaudry, « Paved with Good Intentions : Simply Requiring Indigenous Content is Not Enough « , 13 janvier 2016, voir le site Web d’ActiveHistory : http://activehistory.ca/2016/01/paved-with-good-intentions-simply-requiring-indigenous-content-is-not-enough/ ; Rauna Kuokkanen,  » Mandatory Indigenous Studies course are not reconciliation, they’re an easy way out « , 18 mars 2016, voir le site Rabble.ca : http://rabble.ca/blogs/bloggers/campus-notes/2016/03/mandatory-indigenous-studies-courses-arent-reconciliation-theyre ; il y avait également un commentaire motivant sur Facebook de Daniel Health Justice qui n’est plus disponible en ligne.
[3] Sept membres réguliers du corps professoral donnent des cours d’histoire autochtone, dont deux professeurs autochtones titulaires et un professeur autochtone à contrat depuis de nombreuses années. Il est important de savoir le nombre de professeurs autochtones qui s’occupent de ces questions – cela a de l’importance dans le processus de prise de décision, cela a de l’importance pour nos étudiants et cela a de l’importance dans la philosophie et la politique de notre campus.
[4] Pour un aperçu des programmes d’histoire autochtone offerts par le Département d’histoire, voir : http://www.uwinnipeg.ca/history/indigenous-history.html
[5] À l’automne 2016, l’université a mis en œuvre l’exigence selon laquelle tous les nouveaux étudiants au baccalauréat doivent suivre un cours portant sur le contenu autochtone, également connu sous le nom de « cours obligatoire sur les Autochtones », ou son acronyme anglais ICR. Ces cours peuvent être choisis à partir d’une liste évolutive d’offres provenant de différents départements, y compris des cours d’histoire à tous les niveaux. Pour plus d’informations sur les cours obligatoires sur les Autochtones, voir : http://uwinnipeg.ca/indigenous-course-requirement/.
[6] Suite à la Déclaration, le comité d’indigénisation/de décolonisation a prévu deux sessions sur la Déclaration dans le cadre de notre série « Parlons d’enseignement » (son acronyme anglais TAT) durant l’année 2016-2017. Ici, nous avons demandé aux membres du corps professoral de discuter de l’endroit où ils avaient placé l’énoncé dans leur plan de cours, et de la façon dont l’énoncé a été présenté et discuté dans leurs cours.  Ces séances ont été incroyablement productives, car l’adoption de la déclaration et ses discussions ont été très variées.  Par exemple, plusieurs ont choisi de placer l’énoncé en haut de leur programme de cours, d’autres ont choisi de l’introduire dans le contexte de l’information générale du cours.  Dans un cours, les étudiants ont abordé l’énoncé comme une source primaire de preuves historiques et, à ce titre, ont fait une analyse critique de la source, de l’intention et du contexte de l’énoncé.
[7] Voir, par exemple, Rivka Feldhay & F Jamil Ragep, eds., Before Copernicus: The Cultures and Contexts of Scientific Learning in the Fifteenth Century (Montreal and Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2017).