Publié le le 9 mars 2020
Allyson Stevenson[1]
Une structure, pas un événement.
Le colonialisme de peuplement au Canada, comme ailleurs, est une structure, ce n’est pas un événement.[2] Il se perpétue aujourd’hui par des manifestations de violence ouverte contre les peuples, les modes de vie et les territoires autochtones, par le traitement négligent des droits des autochtones et par la privation des nécessités de la vie. Alors que nous continuons à nous réapproprier nos propres histoires, nos modes de gouvernance et d’expression de souveraineté autochtone, nous aurons besoin de nouvelles histoires pour comprendre notre passé commun qui tient compte avec tout le sérieux nécessaire du Canada tel qu’il est – et non tel que certains pourraient le souhaiter.
En fait, cette remise en question est impérative et constitue la base du processus pour faire avancer la réconciliation. En tant que profession, les historiens doivent réfléchir à la signification et à l’importance spécifiques à l’histoire de l’appel à l’action 43 de la CVR sous la rubrique Réconciliation qui stipule « Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de même qu’aux administrations municipales d’adopter et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation ».[3] La compréhension des forces internationales qui ont conduit au mercantilisme, à la colonisation et à la Confédération, ainsi que des diverses résistances, réponses et accommodements autochtones, offre un contexte important pour aller de l’avant en situant la DNUDPA et la lutte pour les droits autochtones dans un contexte à la fois mondial et spécifique au Canada.
Comprendre la DNUDPA et ce qu’elle signifie pour la restructuration des relations entre la société autochtone et la société issue du colonialisme est la raison pour laquelle j’ai choisi mon département actuel. La DNUDPA rejette les prémisses du colonialisme et du colonialisme de peuplement. Le préambule expose les défis historiques sous-jacents auxquels les peuples autochtones sont confrontés depuis le premier contact tout en identifiant, puis en renversant, les idéologies de conquête :
Affirmant en outre que toutes les doctrines, politiques et pratiques qui invoquent ou prônent la supériorité de peuples ou d’individus en se fondant sur des différences d’ordre national, racial, religieux, ethnique ou culturel sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement condamnables et socialement injustes,
Réaffirmant que les peuples autochtones, dans l’exercice de leurs droits, ne doivent faire l’objet d’aucune forme de discrimination,
Préoccupée par le fait que les peuples autochtones ont subi des injustices historiques à cause, entre autres, de la colonisation et de la dépossession de leurs terres, territoires et ressources, ce qui les a empêchés d’exercer, notamment, leur droit au développement conformément à leurs propres besoins et intérêts,
Consciente de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales et de leur culture, de leurs traditions spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en particulier leurs droits à leurs terres, territoires et ressources,
Consciente également de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits des peuples autochtones affirmés dans les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec les États…[4]
La DNUDPA, adoptée par les Nations Unies le 13 septembre 2007, « constitue les normes minimales nécessaires à la survie, la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde ». (Article 43)[5] Elle impose aux États et à leurs citoyens la responsabilité de respecter, d’affirmer, de reconnaître et d’adhérer aux principes énoncés dans la DNUDPA qui permet aux peuples autochtones, en tant que peuples non étatiques, d’avoir le droit d’exister en tant qu’autochtones. Et ce, non seulement lorsque cela est opportun ou confortable. Les politologues, les juristes et autres sont aux prises avec les questions de fond qui sont soulevées à l’ère de la réconciliation et de l’adoption de la DNUDPA.[6] Il incombe aux historiens de découvrir des approches pédagogiques qui situent les peuples autochtones, leurs droits et leur présence dans ces territoires comme étant fondamentaux pour tous les sujets et domaines de l’histoire canadienne. Plus important encore, les historiens doivent comprendre que les peuples autochtones sont ici, qu’ils comprennent ou non cette histoire et qu’ils continueront à résister à la déshumanisation dans la lutte pour la justice.
Pour revenir au début de l’histoire.
On ne peut comprendre la résistance à George Elliot Clarke que si l’on comprend Justice for our Stolen Children Camp. Si l’on comprend le meurtre de Colton Boushie. Si l’on comprend la parodie de Tina Fontaine. Si l’on comprend le meurtre de Pamela George. Si l’on comprend le meurtre de Leo LaChance (pour ne citer que quelques-uns des exemples d’injustice les plus connus dans les Prairies). Chacun de ces cas évoque de façon plus générale la déshumanisation persistante des peuples autochtones et les conditions déshumanisantes dans lesquelles vivent de nombreux peuples autochtones dans les Prairies en particulier. Le documentaire nîpawistamâsowin de Tasha Hubbard: We Will stand up (2019) qui a été primé relie l’histoire du racisme et de la déshumanisation des peuples autochtones dans les Prairies qui alimentent les injustices que nous constatons aujourd’hui
La chercheure cris métis Emma LaRocque, affirme que « la déshumanisation a effectivement progressé grâce à ce que j’appelle la dichotomie civ/sav, qui offre le cadre pour « interpréter » les échanges entre Blancs et Autochtones ».[7] Le vestige de cette (dé)formation idéologique continue d’imprégner les relations entre les Autochtones et les individus de la société issue du colonialiste en 2020. Il n’est pas nécessaire de chercher très loin dans notre passé historiographique pour identifier ses origines et ses partisans. La DNUDPA reconnaît les héritages idéologiques, matériels et spirituels du passé colonial, mais grâce aux efforts collectifs des peuples autochtones du monde entier, elle réunit les conditions nécessaires pour envisager un avenir différent.
[1] Je tiens à remercier le comité d’enseignement de la SHC, Jo McCutcheon, Danielle Kinsey et Carly Ciufo, pour leurs encouragements et leurs commentaires utiles dans la préparation de cet article.
[2] Patrick Wolfe, “Settler Colonialism and the Elimination of the Native: Journal of Genocide Research (2006), 8(4), 390.
[3] CVR, appels à l’action, 43,4.
[4] DNUDPA, 1-2.
[5] Sheryl Lightfoot, Global Indigenous Politics: A Subtle Revolution. Routledge, 2018.
[6] Eds Michael Asch, John Borrows, and James Tully, Resurgence and Reconciliation: Indigenous-Settler Relations and Earth Teachings. Toronto: University of Toronto Press, 2018 and John Borrows, Larry N Chartrand, Oonagh E Fitzgerald and Risa Schwartz, Braiding Legal Orders: Implementing the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples. Waterloo, ON, Canada: Centre for International Governance Innovation 2019.
[7] Emma LaRocque, “Native Writers Resisting Colonizing Practices in Canadian Historiography and Literature.” (PhD Diss., University of Manitoba, 1999) 80.