Auteur : SHC
Sujet du cours : recherche liée à la CVR
Affiché le : août 22, 2019
Image de boîte Bentwood https://news.umanitoba.ca/honouring-the-sacred-trust/
Introduction
À quoi ressemblent l’enseignement et la recherche en histoire au Canada après la Commission de vérité et de réconciliation du Canada (CVR) ? La Commission a été créée en 2008 dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, une entente entre le gouvernement fédéral et environ 8 000 Autochtones qui ont fréquenté les pensionnats indiens. Au cours des six années suivantes, la Commission a entrepris un projet prodigieux de recherche, d’engagement public et de défense des droits. La Commission a fait des recherches archivistiques approfondies dans les documents laissés par les gouvernements canadiens et les églises, et elle s’est adressée à deux reprises aux tribunaux pour obliger le Canada à produire les documents d’archives promis. Comme le fait remarquer l’historienne Mary Jane Logan McCallum, un engagement sérieux à recueillir et à analyser les témoignages oraux – et les différentes histoires qu’ils ont racontées – a influencé la forme et le mandat des recherches de la Commission. [1] La CVR a créé des archives orales à partir d’entrevues avec plus de 6 000 personnes, dont la plupart avaient elles-mêmes fréquenté un pensionnat. [2]
Le rapport final de la CVR a été publié en 2015 et, en tant que document, le rapport démontre clairement que la CVR a été à la fois un puissant exercice historique et un moment important de l’histoire. La Commission était axée sur la question particulière des pensionnats indiens financés par le gouvernement fédéral entre les années 1880 et les années 1990. Les écoles gérées par les églises qui ont précédé le système fédéral ont été exclues, tout comme les écoles administrées par les églises, les provinces ou les Premières nations, y compris bon nombre de celles que fréquentaient les enfants métis. Malgré toute la spécificité de cette orientation, la CVR est devenue le véhicule d’une discussion plus vaste et plus critique sur le passé et le présent du colonialisme canadien, sur les nombreuses façons dont les peuples autochtones ont payé la note et comment ce colonialisme a façonné le Canada.
La CVR a joué un rôle important dans l’histoire du Canada et il est logique que le travail de l’histoire et des historiens ait joué un rôle important dans ce travail. Un examen rapide de la bibliographie du Rapport final l’indique clairement : on y dénote les historiens Arthur Ray, Winona Stevenson/Wheeler, George Stanley, Sarah Carter, Mary-Ellen Kelm, Cornelius Jaenen, James Daschuk, Jean Friesen, ainsi que les noms des historiens qui ont écrit ce que l’on appelle généralement les monographies d’histoire sur les pensionnats, J.R. Miller et John Milloy.
Le rapport final de la CVR se conclut par quatre-vingt-seize appels à l’action visant à « corriger les torts causés par les pensionnats indiens et de faire progresser la réconciliation ». [3] La lecture de la majorité de celles-ci dans leur sens le plus littéral porte sur la pratique de la recherche historique, sa production et son application dans les salles de classe, les archives et les salles de réunion. D’une façon plus générale, les appels à l’action qui concernent l’éducation (6-12) et la langue et la culture (13-17) traitent de la recherche historique savante au Canada. L’appel à l’action 45 demande au Canada d’élaborer conjointement avec les peuples autochtones une Proclamation royale de réconciliation qui s’appuierait sur la Proclamation royale de 1764 et le Traité du Niagara de 1764. L’appel à l’action 57 demande aux gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux de sensibiliser les fonctionnaires « sur l’histoire des peuples autochtones, y compris en ce qui a trait à l’histoire et aux séquelles des pensionnats, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, aux traités et aux droits des Autochtones, au droit autochtone ainsi qu’aux enseignements et aux pratiques autochtones ». Les appels à l’action 62 et 63 demandent aux gouvernements de créer des programmes d’études et la capacité de les intégrer dans les salles de classe.
Les appels à l’action 67 à 70 concernent les musées et les archives, demandant au gouvernement fédéral de financer un examen national des politiques muséales (67), d’établir un programme de financement de « projets commémoratifs sur le thème de la réconciliation » (68) et que Bibliothèque et Archives Canada adopte et applique les documents, dont la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou la DNUDPA, qui affirment le « droit inaliénable des peuples autochtones de connaître la vérité sur les violations des droits de la personne commises à leur endroit dans les pensionnats et sur les raisons pour lesquelles une telle situation s’est produite », [4] de veiller à ce que ses avoirs liés aux pensionnats soient accessibles au public et de consacrer davantage de ressources au matériel d’éducation publique sur les pensionnats. L’appel à l’action 70 demande au gouvernement fédéral de financer l’Association canadienne des archivistes pour qu’elle collabore avec les peuples autochtones afin de produire un examen national des politiques archivistiques et un plan de mise en œuvre de mécanismes internationaux comme « cadre de réconciliation en ce qui a trait aux archives canadiennes ». [5] Les appels à l’action 71 à 76 portent sur la nécessité d’avoir plus de dossiers et de coopération pour documenter les enfants qui sont morts dans les pensionnats indiens.
Les appels aux actions 77 et 78 concernent la création du Centre national pour la vérité et la réconciliation. Les appels à l’action 79 à 83 portent sur la commémoration, demandant au gouvernement fédéral de modifier la Loi sur les lieux et monuments historiques et de revoir le Programme national de commémoration historique en vue d’intégrer « l’histoire, les valeurs patrimoniales et les pratiques de la mémoire autochtones au patrimoine et à l’histoire du Canada », [6] d’élaborer un plan national du patrimoine pour commémorer le pensionnat, d’établir un congé férié et des monuments aux pensionnats dans les villes capitales.
Quatre années se sont écoulées depuis que ces appels à l’action ont été lancés pour la première fois. La comptabilité assidue de l’historien Ian Mosby démontre clairement que les mesures concrètes prises dans le cadre de ces appels demeurent largement incomplètes ou partielles. [7] Les appels à l’action ont donné lieu à d’importantes réponses institutionnelles de la part de certains établissements d’enseignement postsecondaire (même si c’est loin d’être le cas pour tous ceux-ci), d’unités, d’organisations savantes et professionnelles qui se sont engagés dans une série de réponses officielles et officieuses à la CVR. Il s’agit notamment du rapport et des recommandations de la Fédération canadienne des associations de bibliothèques, de la déclaration et du rapport de la Faculté des arts de l’Université de Regina sur l’indigénisation et des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui sont très importants. [8]
À l’été 2017, la Société historique du Canada a mis sur pied un groupe de travail de la CVR composé de Jo-Anne McCutcheon, Sarah Nickel, Adele Perry et Alison Norman (dont les activités sont coordonnées par Michel Duquet, le directeur général de la SHC). Ce groupe de travail a entrepris un certain nombre de projets, dont le financement de projets liés à la CVR. [9] Inspiré du document « Références pour les plans de cours à contenu autochtone : une ressource pour les professeurs en science politique au Canada » publié par le Comité de réconciliation de l’Association canadienne de science politique en septembre 2018, [10] le Comité de réponse à la CVR de la SHC a opté de rédiger un texte similaire : Un plan de cours pour l’Histoire après la CVR.
Le but de ce plan de cours est de rassembler des documents sur l’histoire autochtone au Canada et ailleurs qui pourraient être utiles aux personnes qui enseignent, font des recherches, écrivent de l’histoire ou travaillent en histoire publique. Avec ce plan de cours, nous désirons focaliser et mettre en valeur l’érudition, l’écriture et la production culturelle autochtones. Même s’il est vrai que l’érudition et la recherche historiques ont joué à la CVR, on peut également admettre qu’en tant que discipline et profession, l’Histoire au Canada – et ailleurs dans le monde colonial – a eu une relation au mieux inégale, et au pire nettement négative, envers l’histoire autochtone comme sujet et les chercheurs autochtones comme praticiens. [11] Récemment, l’historien Allan Downey a soulevé des questions importantes à ce sujet. La SHC a répondu et continuera de répondre à ces questions qui auraient déjà dues être adressées.
En quoi la CVR, les questions qui l’ont éclairée et celles qui ont été soulevées à la suite de sa conclusion, nous incite-t-elle à penser différemment au travail que nous faisons dans les salles de classe, les archives, les musées et les salles de réunion ? Comment les historiens ont-ils contribué à ces conversations et que devons-nous faire pour produire des livres, des articles et des plans de cours qui répondent de façon plus éthique, plus rigoureuse et plus engagée aux questions soulevées par la CVR et par les études autochtones ? Au moment où nous complétons cette étape du plan de cours, l’Enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées a publié son rapport final, et en quoi celui-ci change-t-il notre compréhension du Canada et de son histoire ?
[1] Mary Jane Logan McCallum, “Forward,” John S. Milloy, A National Crime: The Canadian Government and the Residential School, 2nd edition (Winnipeg, University of Manitoba Press, 2017)
[2] Voir Krista McCracken, “The Role of Canada’s Museums and Archives in Reconciliation,” Active History, 15 June 2015.
[3] CVR, Appels à l’action, 2.
[4] CVR, Appels à l’action, 8-9.
[5] CVR, Appels à l’action, 10.
[6] CVR, Appels à l’action, 11.
[7] Voir “Curious about how many of the TRC’s calls to actions have been completed?? Check Ian Mosby’s Twitter,” 20 October 2017, https://www.cbc.ca/radio/unreserved/how-are-you-putting-reconciliation-into-action-1.4362219/curious-about-how-many-of-the-trc-s-calls-to-actions-have-been-completed-check-ian-mosby-s-twitter-1.4364330, consulté le 18 décembre 2018.
[8] Camille Callison, « Truth and Reconciliation Report and Recommendations, » (Ottawa, CFLA-FCAB, 2016); University of Regina’s Faculty of Arts « Statement and Report on Indigenizing and the TRC’s Calls to Action, » consulté en juin 2018 au https://www.uregina.ca/arts/assets/docs/pdf/Arts_Indigenization_Report-Final%202018.pdf
[9] Voir Sarah Nickel et Jo McCutcheon, « La CVR et la SHC », Intersections, 1:1 (2018) 20-22.
[10] https://www.cpsa-acsp.ca/documents/committees/References%20plans%20de%20cours%20a%20contenu%20autochtone%2021%20mars%202019.pdf
[11] Vous pouvez lire la discussion et les réponses à ce sujet dans le numéro spécial « Indigenous Historical Perspectives, » qui comporter une introduction de Dimitry Anastakis, Mary-Ellen Kelm et Suzanne Morton, ainsi que des essais de Brenda Macdougall, Leanne Leddy, Mary Jane Logan McCallum et John Borrows, Canadian Historical Review, 98:1 (March 2017), 60-135. Voir aussi Adele Perry, « “Word from the President: Reading the Royal Historical Society’s 2018 Report, » Intersections, July 2019, 1-4.