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Le rapport de la SHC sur la précarité

IL N’Y A PAS DE SOLIDARITÉ DANS UNE MÉRITOCRATIE : LA PRÉCARITÉ DANS LA PROFESSION D’HISTORIEN AU CANADA

Un rapport de Steven High, vice-président de la Société historique du Canada – le 1er mai 2021

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Est-il temps de rétablir la directive d’embauche « Les Canadiens d’abord » pour les universités canadiennes ? (le 9 février 2022)

Une version modifiée de ce texte a été publié dans Le Devoir le 9 février 2022.

Les sciences humaines traversent une crise prolongée. Les universités canadiennes produisent d’excellents diplômés des programmes de doctorat pour des emplois permanents qui n’existent tout simplement pas. Le principal facteur est la proportion croissante de l’enseignement de premier cycle qui est dispensée par des enseignants à temps partiel ou occasionnels employés de façon précaire. Il en résulte que peu d’emplois permanents sont annoncés. Ceci dit, le fait qu’un nombre croissant de personnes embauchées soient des ressortissants étrangers qui n’ont pas été formés au Canada n’aide pas. Cette situation démontre la fâcheuse tendance du monde universitaire d’assimiler l’excellence à l’école qu’un candidat a fréquenté, ce qui place les diplômés canadiens dans une position nettement désavantageuse sur le marché de la réputation. Il n’est pas rare de seulement avoir des postulants étrangers dans des concours de recrutement comptant plus de cent candidats.

Le sentiment de colère, voire de trahison, est palpable chez les jeunes diplômés hautement qualifiés et les enseignants précaires.

Pour mieux comprendre la détérioration de la situation, la Société historique du Canada (SHC), qui représente les historiens professionnels de tout le pays, a organisé l’an dernier une série de tables rondes virtuelles qui ont couronné un important rapport et à une série de recommandations. Notre comité sur la précarité a depuis élaboré des ressources et des lignes directrices sur les meilleures pratiques à l’intention des directeurs de département d’histoire, afin d’atténuer ce qui peut l’être. Nous avons également créé un groupe de travail de sept membres sur l’avenir du doctorat au Canada afin de mieux comprendre les problèmes structurels qui existent. Il présentera son rapport ce printemps lors de notre réunion du centenaire. On m’a également demandé d’enquêter sur la question spécifique des politiques d’embauche.

La controverse autour de la sous-représentation des Canadiens dans nos universités n’est pas nouvelle. Dans les années 1960, ces préoccupations étaient centrées sur le réseau informel des anciens qui permettait d’embaucher des Américains sans annoncer le poste. Selon une estimation, la proportion de professeurs canadiens dans 15 universités étudiées est passée de 75 % en 1961 à 49 % en 1968.  Une fois établis dans les universités canadiennes, « les universitaires étrangers avaient tendance à embaucher des personnes qui leur ressemblaient beaucoup en termes de formation, de perspectives, d’approche. » La controverse a mené à la création de la Commission des études canadiennes, présidée par T.H.B. Symons, et finalement à la politique « Les Canadiens d’abord » dans l’embauche universitaire en 1981.

Entre 1981 et 2001, les universités canadiennes étaient tenues de mener d’abord une recherche canadienne avant d’ouvrir le poste aux non-citoyens/résidents permanents si elles ne pouvaient trouver de candidat qualifié. Naturellement, il y a toujours eu des exemptions pour les disciplines telles que la biotechnologie, le génie en électromécanique et l’informatique, lorsqu’il y avait une pénurie avérée de talents canadiens ou lorsque l’université était en mesure d’attirer une grande vedette universitaire.

Il n’est pas surprenant que de nombreux administrateurs d’université n’aient jamais apprécié cette politique, la considérant comme un obstacle à l’obtention des meilleurs standards internationaux. Il y a une part de vérité dans ces propos. Et les administrateurs ne sont pas les seuls à s’opposer à la réglementation. Les universitaires sont plus susceptibles de se considérer comme des citoyens du monde et de croire, à des degrés divers, que la connaissance ne connaît pas de frontières. Qui ne voudrait pas travailler avec les meilleurs ou apprendre d’eux ?

Dans la pratique, cependant, que signifie être « qualifié » ?

Après tout, les classements des universités sont fondés sur des enquêtes de réputation et incluent des indicateurs d’excellence tels que le nombre de professeurs formés dans les universités de l’Ivy League. Les universités canadiennes qui ont des prétentions mondiales aiment se vanter de ces associations.

La politique à deux vitesses, d’abord adoptée par les libéraux de Pierre Trudeau, a survécu aux années Brian Mulroney et à l’accord du libre-échange pour mourir sous les libéraux de Jean Chrétien.

Le changement de politique de 2001, qui faisait suite à l’exemption générale accordée au nouveau programme des chaires de recherche du Canada l’année précédente, a été motivé par des prédictions apocalyptiques sur la pénurie à venir de candidats qualifiés, compte tenu de l’augmentation prévue des inscriptions dans les universités avec l’ « écho » du baby-boom. En 2000, l’Association des universités et collèges du Canada a publié un rapport intitulé « Revitaliser les universités par le renouvellement du corps professoral » qui mettait en garde contre une grave pénurie de main-d’œuvre, prédisant qu’il faudrait embaucher jusqu’à 32 000 nouveaux professeurs d’ici 2010. On s’attendait à ce que les universités canadiennes n’obtiennent que la moitié de ce nombre.

En réponse, le gouvernement fédéral a assoupli la politique, permettant aux universités de faire de la publicité au niveau national et international conjointement. Mais avec la promesse que les Canadiens qualifiés seraient toujours les premiers embauchés. La politique « Les Canadiens d’abord » demeure donc en vigueur aujourd’hui, du moins en théorie.

Après avoir obtenu le feu vert, les universités canadiennes ont utilisé le Programme des travailleurs étrangers temporaires du gouvernement fédéral comme principal moyen d’embaucher des employés permanents de l’extérieur du pays. Le début des années 2000 a vu une « montée rapide » de travailleurs étrangers temporaires au Canada plus généralement. Le programme est toutefois censé se limiter aux secteurs où il existe une pénurie avérée de main-d’œuvre et c’est là que le bât blesse.

L’argument selon lequel il existe une pénurie de main-d’œuvre au Canada dans le domaine des sciences humaines est tout simplement insoutenable.

Il est étrange de lire les anciennes prédictions sur la pénurie de main-d’œuvre à venir, car les choses ne se sont pas passées ainsi. Tout cela n’était qu’un mirage, bien sûr. La modeste ouverture du marché du travail universitaire pour les historiens, du moins, n’a duré que deux ou trois ans. J’ai eu la chance d’être embauché durant cette brève période.

Les inégalités qui en résultent sont frappantes. L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) a soulevé cette question dès 2015 en accusant les universités d’abuser du programme des travailleurs étrangers temporaires. Selon le président de l’ACPPU, David Robinson, « la réalité est qu’il y a des dizaines d’universitaires canadiens qualifiés qui sont employés sous des contrats temporaires et à temps partiel et qui devraient être considérés pour des ouvertures à temps plein. »

À l’heure actuelle, la loi canadienne exige que toutes les offres d’emploi des professeurs comportent la mention suivante : « On encourage tous les candidats qualifiés à postuler; la priorité sera toutefois accordée aux Canadiens ainsi qu’aux résidents permanents ». Dans la pratique, cependant, que signifie être « qualifié » ? S’agit-il de toute personne qui est un candidat solide, qui publie activement et qui enseigne efficacement, ou s’agit-il du meilleur candidat disponible dans le bassin international de candidats ? La signification de l’expression « priorité » accordée aux Canadiens n’est pas plus précise.

Pour mieux comprendre la situation qui prévaut, j’ai analysé huit politiques d’embauche universitaires librement accessibles en ligne pour voir quelle orientation officielle nos universités donnent aux comités d’embauche des professeurs. Toutes reprennent la formulation vague du gouvernement selon laquelle les Canadiens qualifiés et les résidents permanents continueraient d’avoir la priorité. Autrement, la pratique actuelle semble varier considérablement d’une université à l’autre.

L’Université de Calgary, par exemple, semble avoir la lecture la plus restrictive de la loi : « Tous les citoyens canadiens et les résidents permanents qui répondent aux exigences annoncées du poste doivent être invités à participer au processus de sélection, c’est-à-dire aux entrevues, aux présentations, etc. Les citoyens canadiens et les résidents permanents jugés qualifiés doivent se voir offrir le poste avant qu’il ne puisse être offert à un candidat étranger. » Pour sa part, l’Université de Toronto demande aux comités d’embauche de « tenir un registre de toutes les tentatives, par le biais de communications écrites ou personnelles ou par d’autres moyens, que vous avez faites pour trouver des citoyens canadiens ou des résidents permanents qualifiés pour occuper le poste. » La plupart des universités semblent toutefois suivre l’exemple de l’Université de l’Alberta, qui insiste sur le fait que la citoyenneté canadienne ou la résidence permanente n’a d’importance que lorsque deux candidats ont « les mêmes qualifications selon les critères annoncés ». Cette formulation consacre effectivement une recherche d’emploi internationale élémentaire, bien qu’elle nécessite le dénigrement ultérieur des candidats canadiens pour justifier le choix final. Universités Canada, la voix des cadres supérieurs des universités du pays, appuie fortement cette vision du marché du travail mondial.

Le gouvernement n’exerçant que peu de surveillance, les universités peuvent faire ce qu’elles veulent.

Un autre facteur important à prendre en considération est la priorisation souhaitable depuis longtemps des critères d’égalité, de diversité et d’inclusion dans le recrutement. L’histoire, en tant que discipline, a été l’une des plus blanches des sciences humaines. Il est urgent que cela change. Par conséquent, tout rétablissement de la politique « Les Canadiens d’abord » ne doit pas constituer un obstacle à ces efforts. Une façon de faire progresser nos objectifs en matière d’ÉDI, tout en soutenant nos propres diplômés, est de reconnaître les étudiants étrangers formés au Canada parmi le bassin d’emplois prioritaires.

Je crois qu’il est temps de rétablir la politique à deux vitesses, car il n’y a pas de pénurie de candidats bien qualifiés, voire excellents, déjà au Canada. Dire qu’il n’y a pas de Canadiens ou de résidents permanents qualifiés pour ces postes est un mensonge pas très subtil. Nos titulaires de doctorat méritent plus qu’un travail précaire à temps partiel ou occasionnel.

Steven High
Président
Société historique du Canada