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Béatrice Craig

Le prix du meilleur livre savant en histoire canadienne de la SHC

2010

Béatrice CraigBackwoods Consumers and Homespun Capitalists. The Rise of a Market Culture in Eastern Canada.
Backwoods Consumers and Homespun Capitalists représente une contribution majeure et originale à l’histoire sociale et économique du Canada. Cet ouvrage qui se penche sur l’émergence d’une économie capitaliste dans la haute vallée de la rivière Saint-Jean pose des questions fondamentales pour notre compréhension des transformations économiques du XIXe siècle. Bien plus qu’une micro-histoire des pratiques et des rationalités à l’œuvre chez divers acteurs de cette région isolée, son propos nous convie, en effet, à un réexamen de la théorie des produits générateurs (staples) et des typologies qui ont opposé l’agriculture de subsistance à l’agriculture commerciale, le commerce local au commerce international et la production à la consommation comme facteurs explicatifs de l’entrée du monde rural dans une culture de marché. Ce faisant, Backwoods Consumers and Homespun Capitalists démontre de manière éclatante qu’une étude locale minutieusement menée peut alimenter la réflexion sur des enjeux cruciaux qui dépassent largement son objet et son terrain d’enquête.
Cette analyse du développement économique de la Madawaska fait ressortir toute la complexité des dynamiques à l’œuvre dans l’articulation du marché local aux marchés régionaux et international et surtout la part qu’y ont pris les individus ou groupes d’individus, leur adaptation aux conditions économiques changeantes et les motivations qui les animaient. Elle montre que cette économie régionale a certes été influencée par l’industrie forestière, mais aussi, et bien avant elle, par les activités de production, de consommation et d’échanges dans lesquelles étaient engagés les fermiers, les marchands, les entrepreneurs et les familles. Tout en mettant en évidence la multiplicité des facteurs — économiques mais aussi politiques et culturels —, qui s’entrelacent pour expliquer le développement de la Madawaska, ce livre suggère que l’idée même d’une transition capitaliste doit être remise en question, des éléments capitalistes et non capitalistes ayant toujours coexisté dans les économies émergentes de l’Amérique du Nord. De même, cet ouvrage rappelle que les acteurs sociaux qui ont participé au développement des marchés n’étaient pas nécessairement animés par une mentalité capitaliste, les contraintes sociales et les préférences culturelles ayant aussi un rôle à jouer dans leurs actions et leurs prises de décision. Fondé sur une large variété de sources qui ont mené à la constitution de banques de données patiemment constituées et habilement exploitées, Backwoods Consumers and Homespun Capitalists engage un dialogue des plus stimulants avec l’historiographie canadienne et internationale, et jette un regard novateur sur les régions de colonisation qui fera date. Ouvrage de grande érudition, il représente un modèle du genre.

Mentions honorables :
Lara CambpellRespectable Citizens: Gender, Family, and Unemployment in Ontario’s Great Depression.
Ouvrage soigneusement construit et solidement documenté, Respectable Citizens s’intéresse non seulement aux difficultés matérielles vécues par les familles ontariennes durant la Crise des années 1930 ainsi qu’aux stratégies de survie et aux protestations sociales que ces difficultés ont suscitées, mais également à leur impact sur la redéfinition de la citoyenneté et sur la formation de l’État libéral. Situé à la croisée de plusieurs historiographies, ce livre propose une lecture originale de cette période sombre de l’histoire canadienne en insistant sur les interrelations entre le privé et le public. Il montre que les arrangements domestiques et les réclamations adressées à l’État de manière individuelle ou plus organisée reposaient sur une conception largement répandue des rapports de genre fondée sur l’adhésion à l’idéal du couple pourvoyeur-ménagère et sur une vision des droits citoyens liée à l’appartenance au groupe anglo-celtique. Puisant à des sources diversifiées qui soutiennent de manière éloquente la démonstration, Respectable Citizens révèle que c’est au nom de leurs devoirs familiaux définis en termes « genrés », de leur respectabilité comme citoyens d’ascendance britannique et de leur adhésion à l’éthique du travail que les Ontariens ont demandé à l’État davantage de services et de mesures de soutien économique, des considérations qui ont été incorporées dans la mise en place des politiques sociales à partir de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, au regard de l’analyse riche et nuancée que nous offre Laura Campbell, les années 1930 apparaissent comme une période transitoire vers la mise en place d’un État providence canadien auquel la population elle-même aura contribué. Ces conclusions apparaissent d’autant plus stimulantes que l’étude ne se confine pas aux seules réalités urbaines, mais se penche également sur les conditions en milieu rural et dans l’arrière-pays. Cet ouvrage, qui met à contribution une large variété de sources et une série de concepts élaborés par la recherche féministe et la nouvelle histoire politique, constitue donc un ajout de taille à notre connaissance des années 1930 et deviendra certainement une référence incontournable pour comprendre cette décennie et celle qui l’a suivie.

Bryan D. PalmerCanada’s 1960s. The ironies of Identity in a Rebellious Era. 
L’ouvrage de Bryan D. Palmer, Canada’s 1960s,cherche à comprendre cette période particulièrement agitée de notre histoire qui a profondément marqué la mémoire collective. L’originalité de cet essai tient au fait que loin de se concentrer sur la contre-culture qui en est venue à la symboliser, il s’interroge sur l’impact de cette décennie sur l’identité nationale canadienne en accordant une attention toute particulière aux différents mouvements de protestations qui l’ont traversée. À partir d’une série d’études de cas choisis pour leur exemplarité, Canada’s 1960 soutient que durant les années 1960 l’ancienne identité nationale canadienne fondée sur l’appartenance à l’Empire britannique a été définitivement démantelée sous les assauts répétés d’événements de divers ordres, mais surtout de luttes sociales, économiques et politiques, ce bouillonnement générant une incertitude et une ambivalence qui ont empêché la construction d’une nouvelle identité nationale unifiée.
Écrit dans un style incisif et souvent caustique, Canada’s 1960 montre qu’il est possible de faire une lecture cohérente d’une décennie souvent associée au « chaos ». Ce projet intellectuel d’envergure, qui allie la recherche dans les sources au recours à de très nombreux écrits d’historiens et autres intellectuels, offre une perspective éclairante et un cadre interprétatif renouvelé au sujet d’une période des plus mouvementées. Si plusieurs des épisodes considérés sont bien connus et ont fait l’objet d’études séparées, la grande force de cet ouvrage est de nous les présenter de manière intégrée, ce qui en élargit la compréhension. Au final, Canada’s 1960 offre donc, de l’aveu même de son auteur, une synthèse encore partielle, mais néanmoins impressionnante, d’une époque pas si lointaine, témoignant d’une grande érudition.