Récent.e.s lauréat.e.s
Le prix du meilleur livre savant en histoire canadienne de la SHC
François-Marc Gagnon, Nancy Senior et Réal Ouellet, The Codex Canadensis and the Writings of Louis Nicolas. McGill-Queen’s University Press, 2011. Dans cet ouvrage d’une très grande beauté, F-M Gagnon et ses collaborateurs ont réuni deux œuvres conservées en des lieux très distants et peu connues, même des spécialistes, l’une étant faussement assignée à un auteur et l’autre étant restée sans attribution. La première, l’Histoire Naturelle des Indes Occidentales, fait partie des collections de la Bibliothèque nationale de France. La seconde, le Codex Canadensis, est conservée au Gilcrease Museum de Tulsa et constitue une collection de 180 illustrations représentant les peuples, la faune et la flore du Nouveau Monde au dix-septième siècle. Un travail savant et méticuleux d’investigation a permis aux auteurs de conclure qu’il s’agit en fait de deux volumes complémentaires, rédigés au tout début du dix-huitième siècle par un même auteur, le missionnaire Jésuite Louis Nicolas. Les deux textes s’éclairent l’un l’autre, constituant un tout qui représente plus que la somme de ses deux parties.
Si l’identification de la provenance et de l’auteur de ces deux manuscrits reproduits et traduits est un modèle d’érudition, l’appareil scientifique déployé pour analyser ces documents est un modèle de contextualisation. La longue introduction, les nombreuses notes très fouillées et le glossaire très détaillé contribuent tous à placer ce corpus à un moment clé de l’évolution de la pensée scientifique et de la conception du monde naturel en Europe. Les illustrations du Codex et les descriptions de l’Histoire naturelle ne visent pas l’objectivité. Elles constituent plutôt des constructions reposant sur une base épistémologique spécifique à une époque et qui est sur le point de disparaître. Entre autres, elles signalent le passage d’une vision de la nature comprise en fonction de son utilité pour l’humanité au concept même de « l’ordre » de la nature. L’analyse perspicace fournit un cadre nuancé qui permet au lecteur moderne d’appréhender et de comprendre ces deux documents par ailleurs étranges. On ne peut trop louer cet ouvrage. Objet physique d’une grande beauté, il est d’une conception et d’une exécution de tout premier ordre. En tant que travail de reconstitution et de présentation intelligent et créatif, il est impeccable. Résultat d’une recherche interdisciplinaire, il est simplement sans équivalent. Finalement, le Codex Canadensis and the Writings of Louis Nicolas nous rappelle que la recherche historique digne de récompense ne se limite pas qu’aux monographies savantes.
Mentions honorables :
Donica Belisle, Retail Nation: Department Stores and the Making of Modern Canada. UBC Press, 2011. Retail Nation est une contribution importante à l’histoire du développement de la consommation de masse au Canada, de la fin du dix-neuvième et au milieu du vingtième siècle. Ce livre décrit l’émergence, puis les périodes de prospérité et de déclin de trois chaînes de grands magasins – Eaton, HBC et Simpson’s – qui ont accaparé une plus grande part des dépenses de consommation que leurs équivalents dans d’autres pays et qui sont devenues des emblèmes du nationalisme canadien-anglais. Ces magasins ont fait plus que vendre des marchandises; ils ont publicisé des formes particulières de consommation qui ont contribué à la construction d’une forme de modernité basée sur le consumérisme en régime capitaliste. Tout en reconnaissant que la nostalgie imprègne l’image de ces magasins, l’auteure ne perd pas de vue les coûts sociaux et autres que ceux-ci ont entraînés au cours des décennies. Les trois compagnies ont été critiquées, et même remises en question, pour avoir forcé d’autres commerçants à fermer leurs portes, pour avoir exploité leurs employés en les assujettissant à des règlements paternalistes tatillons, et même pour la qualité de leurs services. Belisle explore en détail et très intelligemment les rapports inégaux de classe, race et genre qu’ils ont établis, explorant en particulier la manière dont le genre marque les relations entre les magasins, leurs employées et leurs clientes. L’ouvrage est écrit avec beaucoup de verve, fait preuve d’une solide connaissance de l’historiographie du domaine et reflète une recherche minutieuse. Il deviendra une référence pour l’étude de la société de consommation au Canada.
Sherry Olson & Patricia A. Thornton, Peopling the North American City: Montreal 1840-1900. McGill-Queen’s University Press, 2011Cette œuvre de grande envergure, issue de la participation des auteures au Projet d’histoire de Montréal, cherche à comprendre comment cette ville, et par extension les grands centres urbains nord-américains, se développent dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Les auteures suivent une sous-population d’individus portant une douzaine de patronymes représentatifs des trois communautés canadienne-française, anglo-protestante et irlandaise catholique qui composent la population de Montréal entre 1840 et 1900. Elles en retracent les stratégies maritales et nuptiales, ainsi que les mobilités sociales et géographiques à Montréal et ses environs. Ce faisant, elles décortiquent les facteurs structurels et culturels qui façonnent les étapes de la vie de ces personnes. Contrairement aux économistes et aux démographes qui expliquent la transition démographique en termes structurels (urbanisation, industrialisation, progrès de l’alphabétisation, augmentation des revenus), les auteures concluent que la culture joue un rôle déterminant dans les choix démographiques des membres de ces trois communautés. Du début à la fin de la période à l’étude, celles-ci restent différentes, qu’il s’agisse de leurs indicateurs démographiques fondamentaux, de leurs lieux de résidence, de leurs modes de mobilité sociale et géographique, de leurs réseaux de parenté et de sociabilité ; même si toutes trois évoluent avec le temps, leurs trajectoires ne deviennent jamais identiques. L’approche très quantitative et structurelle n’empêche pas les auteures de faire preuve d’une étonnante empathie, ce qui les amène à reconstituer par moments les parcours de certains individus confrontés à des choix de vie. Conjuguée à une prise en compte des diverses matérialités du milieu urbain dans lequel évoluent les acteurs, cette empathie donne vie à la population à l’étude, qui resterait sans quoi très abstraite.