Souvent perçue avec scepticisme par les historien.ne.s professionel.le.s par le passé, l’histoire orale se trouve maintenant parmi les méthodologies préférées de celles et ceux qui s’intéressent aux questions d’éthique de la recherche, de mémoire, d’identité et d’expérience des personnes marginalisées. Cet atelier se veut une introduction à l’histoire orale: ses fondements théoriques, ses préoccupations, et sa pratique. Nous aborderons également la question des « beaux défis » que pose cette méthodologie: relations entre chercheur/chercheuse et personne interviewée, l’utilisation de nouveaux outils technologiques et numériques, pratiques critiques de l’histoire publique, etc.
Le vendredi 6 janvier 2023
13h00-15h00, heure de l’Est
Atelier de langue française
Fred Burrill est chercheur postdoctoral à l’Université du Cap-Breton. Il pratique l’histoire orale depuis de nombreuses années, notamment dans le cadre de ses recherches sur l’histoire de la désindustrialisation du quartier Saint-Henri, à Montréal.
Le vendredi 6 janvier, le Dr Fred Burrill a discuté à la SHC des apports et des défis de la pratique de l’histoire orale. Chercheur postdoctoral à l’Université du Cap-Breton et titulaire d’un doctorat de l’Université Concordia, M. Burrill a présenté un grand volume d’informations et d’expériences à ce cinquième atelier et huitième événement de la série d’ateliers et de tables rondes virtuels de la SHC.
Burrill a appris la pratique de l’histoire orale en étudiant la désindustrialisation et l’embourgeoisement dans le quartier Saint-Henri de Montréal. En commençant par les origines de la discipline, il a fait valoir que sa première présence dans le milieu universitaire est généralement datée de 1948, lorsqu’Allan Nevins a créé l’Oral History Institute à l’Université Columbia, à New York. Nevins était journaliste, mais à l’université, il a développé l’idée d’approcher les gens et de leur parler de leurs expériences. Cette pratique a émergé de manière organique, avec des racines dans le journalisme, le folklore, l’anthropologie et d’autres disciplines ; elle a ensuite mûri avec les autres développements historiques des années 1960, comme les mouvements ouvriers, féministes, queers, minoritaires, post-structurels et autres. L’idée, selon Burrill, était de revenir « à la source de ces histoires cachées ».
L’histoire orale permet aux historiens d’enregistrer non seulement ce que les gens disent du passé, mais aussi la manière dont ils le disent. Les praticiens de l’histoire orale apprennent non seulement ce que les gens ont fait, mais aussi ce qu’ils voulaient faire et ce qu’ils pensaient qu’ils auraient dû faire, comblant ainsi les lacunes des traces historiques. Les dynamiques de pouvoir, la subjectivité et les enjeux de mémoire ont tous été explorés. De nombreux historiens se méfient de l’histoire orale parce qu’elle repose sur la mémoire subjective de l’individu et estiment qu’elle n’est utile que pour « renforcer » les informations recueillies dans les archives. C’était surtout le cas en France, ce qui a influencé la pratique au Québec. Aujourd’hui, cependant, le Québec est à l’avant-garde du reste du Canada en matière d’histoire orale, selon Dr Burrill.
L’histoire orale est unique en ce sens qu’elle est la source et qu’elle crée la source. Il existe une autorité partagée entre l’« expert » — l’historien — et le « véritable expert », la personne qui raconte l’histoire. Il s’agit d’une forme de co-création et les résultats peuvent dépendre de conditions relativement banales : le temps qu’il faisait le jour de l’entretien, si quelqu’un avait une bonne journée, si du thé et des biscuits ont été fournis, etc. Les historiens doivent également se demander quelle est leur relation avec la source, s’ils se font mutuellement confiance et pourquoi. La mémoire et la subjectivité peuvent être un problème — il s’agit d’histoires personnelles, donc cette personne dit-elle la vérité ? Les témoins sont-ils objectifs ? Comment peut-on analyser des contributions aussi personnelles ? Mais pour de nombreux praticiens de l’histoire orale, a affirmé M. Burrill, c’est ce qui fait la force de la discipline. Non seulement devient-il possible de révéler des pans ombragés de l’histoire, tenus à l’écart des documents écrits, mais nous sommes aussi en contact direct avec les expériences des gens au sein de l’histoire. Comment les sources ont-elles vécu ces expériences à l’époque ? Quels sont leurs impacts aujourd’hui ? Burrill a conseillé aux praticiens de l’histoire orale de laisser de la marge de manœuvre à une personne pour raconter son histoire et de construire des analyses à partir de ce récit.
Parfois, a noté Burrill, nous faisons face au problème à double tranchant de l’empathie. Nous voulons faire preuve d’empathie à l’égard de nos sources et créer le genre de rapport qui les rendra à l’aise pour parler à un historien. Mais que faire si nous les « aimons trop » ? Il y a un danger qu’avec des sources sympathiques, nous ne posions pas les questions nécessaires et difficiles qui pourraient causer un malaise. Dans la même lignée, que se passe-t-il si nous enquêtons sur des personnes que nous n’aimons pas et dont nous ne partageons pas les valeurs — l’exemple donné par Burrill était une histoire orale des femmes du Ku Klux Klan. Quels que soient nos sentiments à l’égard de nos sujets, il est important, selon lui, de ne pas créer un environnement hostile. Nous recherchons souvent des personnes avec lesquelles nous partageons des valeurs, mais pour avoir une vision plus complexe de l’histoire, nous devons interroger l’État, des personnes que nous n’aimons pas et des gens qui ont causé de la douleur et du mal. C’est difficile, mais primordial.
Enfin, il y a la question de savoir ce que nous faisons de ces sources une fois que nous les avons interrogées. Traditionnellement, après une interview, l’historien fait une transcription et travaille avec celle-ci, comme s’il s’agissait d’un journal personnel. Mais l’histoire orale a une logique différente : transformer des paroles en mots écrits est une forme de traduction. Le langage corporel, les hésitations et les maniérismes sont difficiles à retranscrire sur papier. Il y a également la question de l’archivage. Toutes les sources ne souhaitent pas nécessairement que leurs propos soient conservés à jamais, qu’ils soient anonymes ou non. Pour celles qui consentent à ce que le monde entier entende ce qu’elles ont à dire, une énorme responsabilité est imposée aux prochains historiens qui les consulteront. La confiance mutuelle entre l’intervieweur et l’interviewé n’est pas présente avec le prochain chercheur. L’historien suivant, qui ne s’est pas assis avec la source, peut-il vraiment comprendre ce qui a été dit ?
Burrill a terminé en examinant les questions des déséquilibres de pouvoir entre l’intervieweur et l’interviewé. Dans son propre cas, il a constaté que même s’il « n’était pas payé des millions » pour faire son doctorat, il était souvent beaucoup mieux loti que les personnes très pauvres qu’il interviewait sur la vie à Saint-Henri. Il a exhorté les historiens à être honnêtes quant à ces déséquilibres — nos vies sont peut-être précaires, mais il y a différents degrés de précarité.
L’atelier est maintenant affiché sur la chaîne YouTube de la SHC.