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Les dix dernières années : ActiveHistory et l’enseignement de l’histoire du Canada depuis 2008

Adele Perry
J’aimerais remercier Sarah Nickel et Laura Madokoro pour leurs commentaires.

La façon dont nous enseignons l’histoire du Canada a changé durant la décennie depuis qu’Active History et son homologue HistoireEngagée sont en ligne.  Active History a vu le jour l’année où la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) du Canada a été établie dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. ActiveHistory a fait ses marques au moment où le mouvement « Idle No More » changeait la donne à l’hiver 2012-2013, que la CVR publiait son rapport final en 2015 et que des décennies de militantisme lié aux femmes, aux filles et aux personnes bispirituelles autochtones assassinées et disparues ont amené le gouvernement fédéral à lancer l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en 2016 (son rapport final a été publié en 2019).

Le fait que le passé du Canada soit radicalement différent du point de vue des Autochtones n’est pas une nouvelle observation.  Dans sa contribution à la série qui présente les travaux d’universitaires autochtones sur Active History, Mary Jane Logan McCallum nous rappelle la vénérable « tradition d’engagement et de critique des Autochtones », qui ont observé, évalué, corrigé et intervenu dans le domaine de l’éducation, et qu’ils continuent de le faire.[1]

Les changements importants apportés aux programmes d’études primaires et secondaires des provinces témoignent de ce genre d’intervention, surtout dans les années qui ont suivi la CVR. [2] Néanmoins, l’annulation soudaine de la révision prévue du curriculum de l’Ontario en 2018 démontre clairement que ces changements peuvent être annulés au nom de l’austérité. [3] Cette décennie de changement et de défense des intérêts des Autochtones a également façonné l’enseignement de l’histoire du Canada au niveau postsecondaire. [4] Certains départements – et l’Université de Winnipeg est un modèle à suivre à cet égard – ont élaboré un processus de décolonisation concerté et réfléchi, qui surpasse les caractéristiques de l’érudition canadienne. Des professeurs comme Carmen Nielson à l’Université Mount Royal, ont repensé et révisé leurs pratiques en classe. [5] La création récente de postes menant à la permanence pour des historiens autochtones dans les départements universitaires canadiens suggère que l’écart de longue date entre la présence de l’histoire autochtone comme sujet d’étude et la présence de membres de communautés autochtones comme praticiens commence à être reconnu. Il faut faire beaucoup plus pour remédier de façon significative à la sous-représentation des universitaires autochtones, noirs et racialisés, ainsi qu’aux attentes et aux exigences accrues auxquelles ces universitaires font face dans le milieu universitaire.

La Société historique du Canada/Canadian Historical Association représente un peu moins d’un millier de professionnels de l’histoire. Elle a mis sur pied un groupe de travail de la CVR en 2017.  Composé de Jo-Anne McCutcheon, Sarah Nickel, Alison Norman et moi-même, son mandat était d’offrir une réponse à la CVR et de discuter de ses implications pour les historiens.  L’un des principaux projets du groupe de travail a été de créer un « Plan de cours pour l’enseignement de l’histoire après la CVR » qui a été publié à l’été 2019. Ce projet s’inspire des programmes d’études structurels élaborés pour les mouvements sociaux, et de l’exemple particulier du document « Indigenous Content Syllabus Materials: A Resource for Political Science Instructors in Canada » de l’Association canadienne de science politique. [6]

Le « Plan de cours pour l’histoire après la CVR » compile les ressources qui pourraient être utiles aux historiens. Nous avons commencé par des mots-clés, mais nous les avons trouvés peu utiles, et nous avons finalement décidé de procéder par de grandes sections thématiques : la longue histoire, les méthodes de recherche, la politique, la résistance, la souveraineté et l’État, le travail et la main-d’œuvre, la scolarité coloniale, le genre, la famille et la sexualité, la santé, la médecine et l’alimentation et les Traités.  Les documents représentent des priorités pour les chercheurs autochtones, des documents évalués par des pairs et des travaux publiés au cours de la dernière décennie.  Hébergé sur le site Web de la SHC (https://cha-shc.ca/fr/decolonisation-et-diversite/un-plan-de-cours-pour-lhistoire-apres-la-cvr/), le plan de cours a été conçu comme un document vivant et peut être bonifié en fonction du temps et des ressources disponibles.

En tant que document, le « Plan de cours pour l’histoire après la CVR » fait ressortir certaines tendances durables, notamment la façon dont ces conversations se sont déroulées différemment chez les francophones et les anglophones.  Il témoigne également de la richesse du matériel disponible pour les enseignants qui cherchent à réfléchir sérieusement à leur propre pratique en classe.  Qu’est-ce que cela signifie de rejeter les approches qui, implicitement ou explicitement, cloisonnent ou minimisent les expériences autochtones en les reléguant à de vastes chapitres sur le territoire, en les expliquant comme des « chapitres sombres » ou en oubliant pendant les années qui se sont écoulées entre la Rébellion du Nord-Ouest et le Livre rouge ?  Comment pouvons-nous enseigner l’histoire, non seulement du Canada, mais aussi des lieux de vie qui existaient avant et au-delà de ses frontières, de façon à reconnaître le rôle central du colonialisme dans la production de toutes nos histoires ?  Ce sont là quelques-unes des questions que le « Plan de cours pour l’histoire après la CVR » suscite et qui ont alimenté les discussions à ActiveHistory au cours des dix dernières années et, qui plus est, nous préoccuperont sans doute au-delà de cette décennie.

[1] Mary Jane Logan McCallum, “When History Needs an Intervention,” le 15 janvier 2016, consulté au http://activehistory.ca/2016/01/when-history-needs-an-intervention/.
[2] Voir Kairos, Education for Reconciliation Report Card: A Report Card on Provincial & Territorial School Curriculum Concerning Indigenous Peoples in Canada, 2018, disponible au https://www.kairoscanada.org/wp-content/uploads/2018/10/E4R-Full-Report-2018-Final.pdf.
[3] Voir Anna Desmarais, “Anger Grows over Ontario decision to end update of curriculum with Indigenous Content,” le 9 juillet 2018, consulté au  https://ipolitics.ca/2018/07/09/doug-ford-scraps-reconciliation-curriculum-writing-sessions/.
[4] Voir Mary Jane Logan McCallum, Julie Nagam, James Hanley, Anne-Laurence Caudano et Delia Garvus, “Decolonization, Indigenization and the History Department in Canada,” ActiveHistory, le 15 septembre 2017, consulté au http://activehistory.ca/2017/09/decolonization-indigenization-and-the-history-department-in-canada/#comments.
[5] Voir le blogue en trois parties de Nielson « La narrative perturbante des colonisateurs dans le cours d’introduction à l’histoire du Canada d’avant la Confédération publié le 30 septembre, les 7 et 14 octobre 2019, au https://cha-shc.ca/fr/enseigner/blogue/la-narrative-perturbante-des-colons-dans-le-cours-dintroduction-a-lhistoire-du-canada-davant-la-confederation-ce-que-jai-appris-3e-partie-2019-10-14.htm.
[6] Voir par exemple,  « Black Lives Matter Syllabus » au http://www.blacklivesmattersyllabus.com/ et ”Standing Rock Syllabus », au  https://nycstandswithstandingrock.wordpress.com/standingrocksyllabus/. On peut accéder au blogue de l’Association Canadienne de science politique au https://www.cpsa-acsp.ca/documents/committees/Indigenous%20Content%20Syllabus%20Materials%20Sept%202018.pdf.