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Une expérience unique dans l’apprentissage de l’histoire coloniale au premier cycle

Marcela Jordão Villaça

Marcela Jordão Villaça est titulaire d’un baccalauréat ès arts et sciences de l’Université Quest. En 2018, elle a présenté sa thèse de premier cycle sur les femmes incarcérées dans son pays natal, le Brésil. À la fin de ses études, son expérience avec Kairos Blanket Exercise et son cours d’introduction aux modèles de justice alternative lui ont ouvert la voie après qu’elle ait obtenu son diplôme. Marcela travaille présentement dans le domaine de la justice réparatrice tout en poursuivant des projets de recherche parallèles à l’Université Simon Fraser. Elle s’intéresse à tout ce qui concerne l’Amérique latine, les sciences politiques et les études culturelles.

Lors de l’itération 2019 du symposium annuel Power, Race, and Privilege qui s’est tenu à l’Université Quest, j’ai suivi la même routine que d’habitude : la session du matin commençait à 9 h, alors je me suis servi une tasse de café à 8 h 30 et je me suis tranquillement rendue vers la salle de réunion principale. Comme étudiante de première année au premier cycle, j’ai été enchantée par le rythme de ces événements. J’ai griffonné vigoureusement sur mon cahier, annotant des concepts et dessinant des flèches pour distinguer les idées qui venaient des conférenciers et ma réponse à celles-ci. Un des premiers mentors m’avait appris l’importance de documenter mon processus de réflexion, et c’est ce que j’ai fait.

Dans les jours précédant la conférence, je me suis inscrite à un atelier intitulé Kairos Blanket Exercise (KBE) : « une leçon d’histoire participative qui favorise la vérité, la compréhension, le respect et la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones ». Il semblait bien aligné avec les mots à la mode qui ont encadré mon diplôme en arts libéraux : « expérientielle », « intime » et « pratique ». Mais dès que nous avons commencé, j’ai réalisé que je ne pourrais pas prendre de notes, car le KBE ne suit pas le format général d’atelier auquel je suis habituée. Les aînés, qui étaient les animateurs de l’atelier, nous ont fait assoir en cercle et une plume d’aigle a circulé autour du cercle pour que chacun puisse se présenter et parler de ses origines. Ils nous ont ensuite numérotés et nous ont donné le scénario de l’exercice. Au centre du cercle, les nombreuses couvertures disposées sur le sol formaient ce que nous connaissons aujourd’hui comme le Canada et on nous a demandé de nous tenir debout à des endroits précis de cette carte avant de commencer.

Selon les numéros qui nous ont été assignés, nous nous sommes relayés pour raconter le colonialisme du point de vue des Premières nations, des Inuits et des Métis. Dans nos rôles, nous avons raconté des récits autochtones, de la période précédant le contact avec les Européens, la conclusion de traités et l’existence des pensionnats jusqu’à aujourd’hui. Au fur et à mesure que nous étions dépossédés de nos terres, les couvertures étaient pliées et les personnes qui s’y trouvaient devaient se déplacer. Certains ont été entassés dans de petites réserves avec d’autres personnages qui leur étaient étrangers. Certains ont été séparés de leur famille et de leurs amis et beaucoup n’ont pas survécu au périple. Nous avons feuilleté des pages, couvrant des siècles d’histoire jusqu’à ce que nos voix s’étranglent sous l’émotion. À la fin du scénario, il y avait peut-être cinq ou six des trente participants du début qui étaient encore debout au centre.

Pour la plupart d’entre nous, nous n’avons en aucun cas appris de quelque chose de nouveau. Heureusement, les efforts de décolonisation de nos écoles et d’intégration des perspectives autochtones dans les classes semblent progresser. En tant que millénaire, je peux dire en toute confiance que la plupart de mes pairs connaissent, du moins en termes généraux, les fondements coloniaux des localités où nous vivons. Malheureusement, le KBE m’a fait réaliser qu’il manquait peut-être un élément fondamental à nos connaissances. Ce n’est que dans ce cercle, en se déplaçant et en écoutant nos propres voix, que la réalité du colonialisme est devenue personnelle. Et c’était incroyablement douloureux. À la fin des trois heures, nous avons passé la plume de l’aigle une dernière fois. Nos animateurs nous invitaient à partager tout ce que nous voulions, à condition que nous parlions du fond du cœur. Nous les avons remerciés abondamment et de nombreux participants ont pleuré à nouveau, partageant les anecdotes de leur famille, exprimant leur colère, leur tristesse ou leur chagrin. En quatre ans de conférences, je n’avais jamais quitté un événement aussi épuisée et bouleversée.

Le KBE a livré un message puissant non seulement parce qu’il n’était dans un format traditionnel de l’atelier, mais aussi parce qu’il nous a permis d’oublier nos personnages étudiants ou professeurs pendant quelques heures et de nous lancer dans des récits que nous pensions déjà connaître. Et c’était un environnement entièrement nouveau pour apprendre l’histoire. Et tant nécessaire. Les rapports de la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées sont la preuve que bon nombre d’entre nous, qui font partie des groupes qui se sont établis au Canada, n’en savons pas assez sur le passé de notre pays. Nous avons reçu ces rapports avec stupeur, comme si les communautés autochtones n’avaient toujours pas fait entendre leur voix. Nous avons besoin de nouvelles façons d’apprendre.

Depuis ce jour, j’ai acquis la conviction que des leçons significatives sur le colonialisme devraient nous bouleverser. Et il en va de même pour l’esclavage, l’impérialisme ou tout autre fondement troublant de nos États modernes. Sortir ce contenu d’un manuel scolaire est incommodant, gênant et inévitablement personnel. C’est de la vie de nos ancêtres que nous parlons. Mais aussi, de leurs répercussions sur les questions contemporaines : les conflits fonciers, le démantèlement des statues, les débats sur les réparations en sont quelques exemples. Et les opinions éclairées sur ces questions ne peuvent venir que de ceux qui ont appris l’histoire avec suffisamment de profondeur. Un atelier d’une journée ne suffit donc pas. Il ne s’agit pas non plus d’un modèle à reproduire. Mais le KBE est un point de départ provocateur, offrant un cadre dont les éducateurs et les élèves ont beaucoup à apprendre. Peut-être qu’un engagement responsable durant les périodes les plus troublantes de notre histoire commune exige-t-il que nous prenions un peu de recul et que nous invitions ceux qui ont de l’expérience à nous montrer la voie à suivre.