Nous profitons de l’occasion pour réfléchir sur le contenu antérieur de la rubrique « Espace enseignants » du Bulletin (maintenant Intersections) et nous nous demandons si cette question de la rétention et de l’inscription, abordée en 2017 par Carl Bouchard, a changé au cours des trois dernières années ou non ? Nous portons ce texte à votre attention.
Les nuages s’amoncèlent au-dessus de départements d’histoire des universités canadiennes : les effectifs étudiants diminuent année après année. Les raisons profondes de ce désaveu sont multiples mais quelques-unes ressortent d’emblée : baisse d’attractivité par rapport aux autres sciences humaines et sociales, remise en cause de notre discipline à l’heure de l’alt-vérité, mais surtout le sentiment largement partagé qu’une formation en histoire n’est pas la meilleure des avenues professionnelles. Bien que le besoin d’histoire soit toujours aussi pressant dans nos sociétés, la formation historique, de plus en plus envisagée à travers l’unique prisme des débouchés et non plus comme pierre angulaire d’une culture générale et d’un regard affuté sur le monde, a de moins en moins la cote. Il est à cet égard significatif d’observer l’engouement actuel pour la science politique – les départements croulent sous les demandes d’admission –, perçue comme une discipline plus à même de répondre aux anxiétés du temps en raison de sa propension prédictive, mais surtout potentiellement plus intéressante en ce qui concerne les perspectives d’emploi. Pourtant, les études récentes montrent que diplômé·e·s en histoire s’en sortent aussi bien que les autres sur le marché du travail[1]. Les experts, quant à eux, sonnent l’alarme : dans quelques années, l’intelligence artificielle aura laminé un ensemble de secteurs professionnels, qui pourront désormais fonctionner avec une main-d’œuvre humaine dérisoire. Alexandre Laurent, un des gourous de l’IA, est catégorique : si les prochaines générations veulent du travail, c’est dans les humanités, là où se développent la culture générale, l’esprit critique et les compétences multidisciplinaires, qu’elles devront se tourner[2].
Réjouissons-nous quelques instants de ces prévisions aux allures de prophéties, ça ne coûte rien, et souhaitons que, dans cinquante ans, les départements d’histoire soient envahis de jeunes cerveaux avides d’apprentissage ! Au rythme actuel cependant, combien d’universités auront, d’ici là, réduit au strict minimum leur corps professoral ? Combien de départements d’histoire auront disparu à travers le pays ? Que faire, en attendant l’éclaircie ?
Dans mon département, nous sommes préoccupés, comme partout, par la baisse des inscriptions. Un ensemble d’initiatives, appuyées notamment par la Faculté des Arts et des Sciences de l’Université de Montréal, sont actuellement mises en œuvre pour contrer cette tendance, comme par exemple l’établissement de relations beaucoup plus étroites avec les cégeps et une meilleure visibilité des professeur·e·s d’histoire dans l’espace public. Il peut être bénéfique, en outre, de déployer des efforts vers ceux et celles qui sont déjà dans nos programmes car, s’il faut attirer le plus possible, il faut aussi réduire l’attrition – jusqu’à 30 % au terme de la première année de formation.
Chez nous, cette double nécessité nous a amenés à réfléchir à « l’expérience étudiante » que nous pouvons offrir à nos étudiantes et étudiants. Que trouve-t-on chez nous qu’on ne trouve pas ailleurs ? Comment offrir une formation aussi rigoureuse qu’enthousiasmante, qui favoriserait la persévérance et qui rejaillirait, in fine, sur la réputation de notre département à l’extérieur des murs de l’université ?
Un nouveau cours, en phase avec cette question, a fait son apparition dans nos programmes, Recherche et rédaction en histoire (HST1015). J’ai eu la chance de l’enseigner pour la première fois à l’hiver 2017. Il se destine en priorité aux étudiantes et étudiants de première année qui n’ont pas obtenu durant leur premier trimestre des résultats à la hauteur de leurs attentes. Le cours vise à contribuer à leur persévérance en améliorant la qualité générale de leurs travaux, et, plus généralement, à leur donner des outils pour qu’ils soient les acteurs de leur formation, au lieu de la subir. De tels objectifs entrent en pleine résonance avec la politique de soutien à la réussite étudiante que l’UdeM a lancée en 2015[3]. Dans ce cours-laboratoire, nous travaillons, en petit groupe – moins de 30 personnes –, au plus près des besoins, privilégiant les travaux pratiques au magistral, multipliant les rencontres individuelles avec les auxiliaires, ouvrant et concluant toutes les rencontres par des discussions de nature réflexive et sur les défis que représente la formation en histoire. Chaque séance est construite autour des grands défis à surmonter en histoire, outre l’acquisition des connaissances : précision de la pensée, clarté et efficacité de l’expression écrite et orale, structuration des idées, prise de notes (de cours et de lecture), problématisation, etc. Au terme du premier trimestre, l’engagement des étudiantes et des étudiants, et leur appréciation du cours, ont dépassé mes espérances. Un atelier post-cours auquel ont assisté plusieurs collègues a permis de faire le point sur l’expérience; nous avons examiné ce qui pouvait être transposé dans d’autres cours au bénéfice général, tant sur le plan de la communication (précision des plans de cours, directives pour les évaluations, informations, etc.) que sur celui de la rétroaction, notamment le principe d’une grille de correction commune à tous les d’introduction qui offrirait de meilleurs repères d’apprentissage – principe adopté à la rentrée de septembre 2017.
Il n’est évidemment pas possible de retenir tous ceux et celles qui s’inscrivent dans notre département, ce qui lui serait, de toute façon, assez rapidement préjudiciable. Mais nous souhaitons, avec un cours comme celui-là et au moyen d’autres initiatives, générer un effet d’entraînement : sans jamais se départir de la rigueur et des exigences disciplinaires, proposer une plus-value à la formation qui en vienne à caractériser l’expérience étudiante au département d’histoire de l’UdeM. C’est une piste à envisager, pour que se dégage un peu l’horizon.
Carl Bouchard
Professeur agrégé
Département d’histoire
Université de Montréal
[1] https://www.univcan.ca/media-room/media-releases/liberal-arts-degrees-are-a-good-investment/ ; https://www.historians.org/publications-and-directories/perspectives-on-history/april-2017/history-is-not-a-useless-major-fighting-myths-with-data
[2] Laurent Alexandre, La Guerre des intelligences, JC Lattès, 2017.
[3] http://reussir.umontreal.ca/accueil/