Karen Robert, professeure agrégée
St. Thomas University
Après plus de vingt ans d’expérience dans l’enseignement universitaire, quels conseils donneriez-vous aux nouveaux professeurs d’histoire ? Aux étudiants ?
Pour les enseignants : n’essayez pas d’en faire trop. Nous essayons tous « d’aborder » trop d’aspects d’un sujet lorsque nous commençons à enseigner pour la première fois, mais les étudiants apprennent plus profondément lorsqu’ils ont le temps d’examiner un éventail plus restreint de matières et de sujets que lorsqu’il y en a trop. De plus, à notre époque où l’information est omniprésente, ce dont ils ont vraiment besoin, ce sont des conseils sur la façon d’évaluer l’information, de l’analyser et de communiquer leurs idées. Les « faits » sont à leur disposition en quelques secondes.
J’encourage également les nouveaux enseignants à se familiariser avec la littérature récente sur l’enseignement de la pensée historique. Ceux d’entre nous qui ont un doctorat en histoire ont excellé dans l’apprentissage en classe ; la pensée historique nous semble être tout naturel. Pourtant, nous ne devrions pas supposer que ce qui a fonctionné pour nous fonctionnera pour la plupart de nos étudiants. Des spécialistes de l’enseignement de l’histoire comme Peter Seixas, Tom Morton et Sam Wineburg ont fait un excellent travail pour définir les « habitudes mentales » associées à la pensée historique, bien que leurs travaux ne soient peut-être pas bien connus des historiens universitaires puisqu’ils sont destinés aux enseignants de la maternelle à la fin du secondaire.
J’ai intégré cette documentation dans mon propre enseignement de premier cycle pour aider les étudiants à mieux comprendre mes objectifs d’enseignement. J’inclus les six concepts de la pensée historique du Projet de la pensée historique de Seixas (http://histoirereperes.ca/les-six-concepts) dans tous mes plans de cours et j’ai lié directement des concepts spécifiques aux discussions en classe et aux devoirs. Par exemple, j’étais frustrée lorsque les étudiants réussissaient mal à répondre à de brèves questions d’examen qui leur demandaient de définir les mots clés des cours et de discuter de leur signification historique. Maintenant, je comprends que la « signification » est un concept unique à la pensée historique et insolite pour mes étudiants. Je pratique maintenant les mots clés régulièrement avec eux en classe avant l’heure des examens.
Enfin, transmettez votre passion et votre curiosité à vos étudiants et montrez-leur pourquoi vous êtes passionné et désirez donner un sens au passé et toujours aborder les questions à signification plus large. Dites-leur pourquoi ils devraient se soucier de ce qu’ils apprennent. Lorsque vous donnez des cours magistraux, soulevez des questions et montrez-leur comment y répondre à l’aide de données probantes plutôt que de vous frayer un chemin à travers une liste de points importants. Proposez-leur ensuite des activités et des travaux en classe qui les aident à définir leurs propres questions et à formuler leurs propres réponses.
Lorsque je donne un cours d’introduction de l’histoire du monde, j’aborde souvent de nouvelles questions, particulièrement pour les sujets qui semblent lointains. Par exemple, lorsque j’enseignais le stade précoce de l’agriculture en ancienne Mésopotamie, j’ai partagé un article sur la façon dont les semences de blé ancestrales irakiennes récupérées pendant la guerre du Golfe ont été introduites dans les régions des États-Unis affectées par la sécheresse en raison de leur rusticité. Cette histoire a démontré la pertinence continue du savoir ancien malgré le mépris de notre culture pour le passé. Dans mon cours d’histoire latino-américaine moderne, les étudiants ont débattu de la question de savoir si le gouvernement guatémaltèque devait lancer des procès en matière de droits humains après la découverte en 2005 d’une importante « archive terroriste » de la police. Ils devaient tenir compte de la situation financière et sécuritaire du pays ainsi que des précédents établis dans d’autres pays d’Amérique latine. Ce sujet les a forcés à faire face à l’urgence du passé ainsi qu’aux défis de la résolution après-conflit.
Quant aux étudiants, je les invite à se familiariser avec la complexité et l’ambiguïté du matériel qu’ils abordent dans leurs cours d’histoire. L’analyse historique défie les réponses faciles et les cours d’histoire les exposeront à des aspects du comportement humain qu’ils trouveront probablement choquants et parfois inexplicables. Cependant, en plongeant et en apprenant à faire le tri des preuves et des arguments, ils seront mieux équipés pour donner un sens au monde extrêmement complexe dans lequel nous vivons aujourd’hui.
L’apprentissage a-t-il changé depuis vos études de premier cycle et où pensez-vous qu’il se dirige ?
L’un des meilleurs changements a été la prolifération des sources primaires, que ce soit sous forme de collections publiées ou d’archives numériques, d’expositions virtuelles ou d’enregistrements. Durant mes études de premier cycle à l’Université Queen’s dans les années 1980, nous avions un accès limité aux sources primaires autre que le canon occidental de l’histoire intellectuelle. Nous avons surtout lu des sources secondaires et débattu de l’historiographie, au moins jusqu’aux études supérieures. Aujourd’hui, même les manuels d’introduction intègrent de belles collections de documents primaires et de sources visuelles ainsi que des questions analytiques qui les accompagnent. Cela signifie que nous pouvons faire participer les étudiants à l’histoire dès le début de leurs études. Ceux-ci adorent ce défi créatif et cela les aide à développer des compétences d’apprentissage tout au long de la vie.
Je pense que l’apprentissage continuera d’évoluer vers le développement d’aptitudes à la résolution de problèmes et à la pensée critique plutôt que vers la « couverture » du contenu. Non seulement c’est une approche plus pédagogique, mais c’est aussi la meilleure chance pour l’histoire de demeurer pertinente. Les jeunes qui vivent dans ce monde de surabondance d’information et de « fausses nouvelles » ont désespérément besoin des compétences que nous enseignons dans les cours d’histoire : lecture attentive, évaluation critique des preuves et capacité de tenir compte du point de vue d’une autre personne.