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Inculquer l’intégrité universitaire en faisant mieux valoir les citations

Mairi Cowan
Département d’études historiques de l’Université de Toronto à Mississauga

Durant mon cours d’introduction à l’histoire, j’affiche une image de quelques pages d’un article savant.[1] C’est un texte que les étudiants vont bientôt lire pour le cours, et les notes en bas de page occupent presque la moitié de chaque page. Je demande alors aux étudiants : « Soyez honnête. Combien d’entre vous se réjouissent secrètement lorsque vous voyez des notes de bas de page comme celles-ci dans vos cours en pensant, super, je peux tourner cette page rapidement parce que je n’ai pas besoin de lire tout le petit texte en bas ? »  Beaucoup de mains se lèvent. Quelques-uns rient. Je leur dis que c’est normal et que j’omets fréquemment les notes de bas de page aussi, surtout si je tente simplement d’en savoir plus sur quelque chose. Mais je leur dis aussi que si je lis un bon texte d’histoire, je peux être surprise, et parfois même sceptique, par ce que je lis. Je n’accepte pas automatiquement tout ce que les gens me disent ; je veux être en mesure d’examiner moi-même les preuves. En tant que personne raisonnable et réfléchie, j’aime évaluer les affirmations de l’auteur.

Je leur demande, « comment puis-je faire tout ça ? ». Un étudiant courageux répond timidement « des notes en bas de page ? ». C’est à ce moment qu’une grosse flèche bleue apparaît à côté des nombreuses notes de bas de page, puis les mots « Ces trucs sont importants aussi ! » Les étudiants éclatent de rire à nouveau. Je leur dis que « les bons historiens nous fournissent des preuves et nous disent où trouver leurs sources, pour que nous puissions consulter celles-ci par nous-mêmes et voir si ce qu’elles disent est vrai. »

C’est ainsi que nous commençons notre discussion sur l’intégrité universitaire. Un peu plus tard dans le cours, nous abordons la façon précise de faire une note de bas de page et une référence bibliographique, mais seulement après avoir discuté de la valeur des citations dans le cadre de nos efforts pour mieux comprendre le monde.

Image texte 16 septembre

Si vous avez l’impression que les étudiants ne prennent pas les citations aussi sérieusement que vous, qu’ils ne se soucient pas autant de la position exacte des virgules et des parenthèses, qu’ils n’ont peut-être même pas pris la peine de développer des opinions excessivement fortes sur les mérites comparatifs des styles de référence Chicago, MLA et APA, vous avez probablement raison. Dans le contexte postsecondaire, les enseignants et les étudiants ne perçoivent pas toujours les citations de la même façon. Les enseignants considèrent généralement les problèmes de citation, qu’il s’agisse de plagiat pur et simple ou de notes de bas de page négligées, comme étant plus graves que les étudiants, qui ont souvent une attitude assez indulgente envers l’utilisation d’idées sans citer la source ou l’utilisation des mots exacts d’une source sans ajouter de guillemets. [2]

La malhonnêteté universitaire est un problème, et pas un problème simple. Elle est causée par une fausse interprétation délibérée ainsi que par la négligence et elle est façonnée par de nombreux facteurs complexes. [3]  Les enseignants ne savent pas trop comment encourager l’intégrité universitaire, décourager le plagiat, ou même enseigner certains des éléments de base de la mise en forme sans que tous soient ennuyés à mort.

La recherche sur les pratiques exemplaires en matière de promotion de l’intégrité universitaire peut offrir des conseils sur la façon de procéder : nous devrions collaborer avec d’autres membres de notre établissement pour bâtir une culture d’intégrité universitaire et expliquer clairement à nos étudiants la dimension éthique de l’intégrité universitaire. [4] Ces recommandations sont générales, mais nous pouvons les utiliser pour développer des idées spécifiques pour enseigner une façon de citer les sources qui tient compte des grandes questions tout en insistant sur le fait que les détails sont également importants.

Comme point de départ, n’utilisez pas « comment ne pas plagier », et pensez plutôt à « comment maintenir l’intégrité académique ». Au lieu de commencer par les règles de votre établissement sur ce qui constitue une infraction, commencez par quelque chose qui illustre l’importance des citations. Il se peut que les étudiants soient déjà inquiets à l’idée d’enfreindre les règles par inadvertance ou qu’ils considèrent les citations comme quelque chose d’essentiellement cosmétique, comme la taille de la marge et le choix de la police. Si vous pensez que les preuves à l’appui et la reconnaissance du travail des autres sont fondamentales dans le processus de recherche, aidez les étudiants à comprendre pourquoi en leur montrant et en leur indiquant clairement que vous êtes prêt à présumer qu’ils ont de bonnes intentions.

Encouragez les étudiants à penser à leurs lecteurs et aux raisons pour lesquelles la citation pourrait leur être utile. Expliquez-leur que vous vous intéressez à leurs idées et que vous voulez en savoir plus : que vous voulez pouvoir consulter les sources qu’ils ont interrogées, et que vous voulez suivre leur processus de réflexion à travers les recherches d’autres chercheurs. Rassurez-les en leur disant que le fait de montrer où ils ont puisé leurs idées ne diminue pas leur érudition ; au contraire, cela augmente la crédibilité de leur travail et indique plus clairement où se trouve leur contribution originale. Si vous êtes ému par l’humilité dans la notion de nains reposant sur les épaules de géants, soulignez que même le plus célèbre fervent de ce concept, Isaac Newton, répétait ce que d’autres penseurs avaient antérieurement dit, dont un, Bernard de Chartres, qui remonte au XIIe siècle.[5]  Réfléchissez à la raison pour laquelle il existe différentes façons de citer des références et pourquoi Chicago – qui est probablement le plus fastidieux pour l’écrivain, mais le plus facile pour le lecteur – est le style préféré des historiens.

Demandez aux étudiants de faire une analogie avec la méthode scientifique. Beaucoup d’étudiants ne sont pas habitués à considérer l’histoire comme une discipline fondée sur des données probantes, mais ils savent probablement quelque chose sur la reproductibilité en sciences. Demandez-leur ce qu’une section « méthodes » devrait accomplir dans un article scientifique. Guidez-les en leur rappelant qu’ils doivent fournir suffisamment de détails pour que les lecteurs puissent répéter l’expérience aussi fidèlement que possible. [6] Établissez un lien avec l’histoire en expliquant qu’une bonne déduction historique est fondée sur une interprétation raisonnable des données probantes, et que l’histoire au niveau universitaire devrait fournir aux lecteurs suffisamment d’information (sous forme de données recueillies dans des sources avec des citations les dirigeant vers celles-ci) pour qu’ils puissent trouver et interpréter eux-mêmes les preuves citées.

Donnez des exercices à vos étudiants qui les aideront à mettre ces idées en pratique. Pour montrer comment les notes de bas de page peuvent être des outils de recherche utiles, guidez-les à travers une « chasse au trésor des notes de bas de page » qui leur permet de trouver des exemples de différents types de sources (un manuscrit non publié, une source primaire sous la forme d’un livre, une source secondaire sous la forme d’un article dans une revue scientifique, etc.). Pour les aider à réfléchir à des situations d’éthique obscures, parcourez des études de cas pratiques ou sous une forme plausible mais fictive. Si vous voulez que les étudiants intériorisent les détails de la mise en page de notes de bas de page et de bibliographies, fournissez-leur des exemples qui contiennent des erreurs et demandez-leur de les signaler et de les corriger.

Les citations font le pont entre nous et les penseurs d’une autre époque. Elles reconnaissent le travail de ceux qui nous ont précédés, et montreront à ceux qui viendront après nous comment nous savons ce que nous pensons savoir. Elles rendent honneur à nos prédécesseurs en leur donnant ce qu’il leur revient, et elles respectent nos lecteurs en leur offrant ce dont ils ont besoin pour évaluer nos allégations. Quand on y pense de cette façon, les citations sont au cœur de la pratique historique. Aidons les étudiants à comprendre la signification profonde en leur enseignant non seulement où et comment rédiger une citation, mais aussi pourquoi le faire.

Mairi Cowan est professeure agrégée, volet enseignement, et directrice du programme d’histoire au Département d’études historiques de l’Université de Toronto à Mississauga.

[1] Paul Freedman, “Spices and Late-Medieval European Ideas of Scarcity and Value,” Speculum 80, no. 4 (2005): 1209-1227.
[2] Chris Park, “In Other (People’s) Words: Plagiarism by university students–literature and lessons,” Assessment & Evaluation in Higher Education 28, no. 5 (2003): 471-488; Jenny Wilkinson, “Staff and Student Perceptions of Plagiarism and Cheating,” International Journal of Teaching and Learning in Higher Education, 20 no. 2 (2009): 98-105; Rozzet Jurdi et Henry Chow, “What behaviours do students consider academically dishonest? Findings from a survey of Canadian undergraduate students,” Social Psychology of Education 15, no. 1 (2012): 1-23; Dan Childers et Sam Bruton, “‘Should It Be Considered Plagiarism?’ Student Perceptions of Complex Citation Issues,” Journal of Academic Ethics 14, no. 1 (2016): 1-17.
[3] Pour un examen de la recherche sur l’intégrité universitaire, voir S. E. Eaton, K Crossman, et R. Edino, Academic Integrity in Canada: An Annotated Bibliography (Calgary: University of Calgary, 2019). Pour un examen de la recherche sur les raisons derrière l’inconduite universitaire, voir Hongwei Yu, Perry L. Glanzer, Byron R. Johnson, Rishi Sriram, et Brandon Moore, “Why College Students Cheat: A Conceptual Model of Five Factors,” The Review of Higher Education 41, no. 4 (2018): 549-576.
[4] Donald L. McCabe, Kenneth D. Butterfield, et Linda K. Treviño, Cheating in College: Why Students Do It and What Educators Can Do about It (Baltimore: Johns Hopkins University Press, 2012), 164-196; Rozzet Jurdi, H. Sam Hage, Henry P. H. Chow, “Academic Dishonesty in the Canadian Classroom: Behaviours of a Sample of University Students,” Canadian Journal of Higher Education 41 no. 3 (2011): 1-35.
[5] Brian Stock, “Antiqui and Moderni as ‘Giants’ and ‘Dwarfs’: A Reflection of Popular Culture?”, Modern Philology 76, No. 4 (1979): 370-374.
[6] Merci à mes amis et collègues scientifiques Chris Meyer, Fiona Rawle, Christoph Richter et Sanja Hinic-Frlog pour leurs conseils sur ce que les étudiants devraient savoir au sujet de la rédaction de méthodes.