Que devraient penser les étudiant·e·s de leur enseignement de l’histoire ? En posant cette question, notre objectif n’est pas de relancer le débat de longue date sur l’importance de l’enseignement de l’histoire ou de proposer le type de discours que les étudiant·e·s devraient apprendre. Nous avons plutôt à l’esprit une préoccupation différente mais connexe : lorsque les étudiant·e·s quittent un cours d’histoire, doivent-ils et elles se sentir optimistes quant à l’état actuel du Canada et à ses trajectoires historiques ?
Pour nous, il ne s’agit pas d’une question futile. Nous enseignons en équipe deux cours d’introduction aux études canadiennes qui font un usage intensif des méthodes historiques. Ces cours visent à mettre en évidence les processus et événements clés de la création de l’État-nation canadien moderne et à explorer les dynamiques de l’identité nationale, du colonialisme et du repli économique néolibéral au cours de la dernière génération. En d’autres termes, les cours cherchent consciemment à raconter la nation d’une manière que nos étudiant·e·s trouveront inhabituelle et qui, nous le savons par expérience, peut s’avérer difficile. Pour de nombreux·ses étudiant·e·s, ces cours représentent des connaissances difficiles, mais notre approche est cohérente avec d’autres approches de l’enseignement des cours d’introduction, comme l’a indiqué l’atelier de la SHC sur les cours d’introduction à l’histoire canadienne qui s’est tenu il y a deux ans.
Nous travaillons dans une petite université « principalement de premier cycle » (comme le décrit MacLean’s). La plupart de nos étudiant·e·s sont relativement jeunes et étudient à temps plein. Les étudiant·e·s les plus âgé·e·s du campus ont généralement entre vingt-trois et vingt-quatre ans. La plupart d’entre eux sont canadien·ne·s, la majorité venant de la région de l’Atlantique du Canada. Les cours eux-mêmes sont structurés selon un modèle de cours magistraux et de travaux dirigés qui vise à maximiser le temps de contact des étudiant·e·s de première année avec les professeur·e·s. L’année dernière, l’équipe était composée d’historien·ne·s universitaires professionnel·le·s et d’un critique littéraire spécialisé dans la poésie documentaire de longue durée, mais ce n’est pas toujours le cas. Les historien·ne·s font toujours partie de l’équipe, mais aussi d’autres critiques littéraires, des politologues et des professeur·e·s qui enseignent les études féministes et les études de genre, les études asiatiques et qui viennent d’un milieu d’études culturelles. Il est important de noter que les méthodologies historiques utilisées dans ces cours ne se contentent pas de fournir un contexte général, comme c’est souvent le cas dans les cours interdisciplinaires, mais fonctionnent plutôt comme un ensemble d’outils (par exemple, l’attention portée au processus, à l’action, à la défamiliarisation) conçus pour encourager les étudiant·e·s à se situer dans des discours plus vastes.
D’un point de vue personnel, nous nous sommes parfois demandé si les cours n’étaient pas trop difficiles. Ce commentaire peut nécessiter une explication. Comme d’autres cours d’introduction, ces cours attirent un grand nombre d’étudiant·e·s en cours facultatif et en cours de distribution que nous ne reverrons plus. Comme l’a fait remarquer le groupe de travail de la SHC sur les cours d’introduction, il s’agit potentiellement de la seule chance d’enseigner aux / à les étudiant·e·s l’histoire, ses liens avec le présent et ses outils d’analyse, et de les faire entrer plus complètement dans un autre type d’espace discursif. Ce potentiel s’accompagne d’une série de choix relatifs à la quantité d’informations, de perspectives critiques et de connaissances difficiles qu’un.e étudiant.e sortant du secondaire peut raisonnablement assimiler. Y a-t-il un moment où un cours devient trop intense ?
Les plans du cours conçus pour ces cours visent à fournir une présentation précise du développement du Canada en tant que société coloniale néolibérale. Parmi les sujets abordés figurent l’intégrité académique des autochtones (comparée à la politique de notre institution), les dimensions du colonialisme canadien (ainsi que le négationnisme des pensionnats autochtones), les expériences vécues de la racialisation et de la diversité, le repli économique néolibéral et les effets de la désindustrialisation, ainsi que les changements environnementaux. Comment les étudiant·e·s réagissent-ils et elles à ces sujets et à ce discours?
La réponse courte est : de plusieurs manières. Il y a le groupe habituel d’étudiant·e·s qui cherchent à « obtenir la bonne réponse ». Au fil des ans, quelques étudiant·e·s ont implicitement soutenu le néolibéralisme et exprimé leur indifférence à l’égard, par exemple, des sentiments de séparation qui découle de la désindustrialisation. Quelques-un·e·s ont exprimé leur colère et leur frustration face à ce qu’ils et elles considèrent comme des injustices de rang élevé, ancrées dans le Canada et son évolution historique. Mais la plupart du temps, les étudiant·e·s sont réceptif·ive·s aux connaissances difficiles qui leur sont transmises et s’inquiètent du fait que les sujets que nous abordons n’ont pas été traités aux niveaux inférieurs de leur éducation.
Leur optimisme émerge de ce contexte. L’année dernière, alors qu’un cours était sur le point de se terminer, nous avons exploré une unité sur le caractère changeant des marchés du travail et l’exode des petites villes associé à la désindustrialisation. Les étudiant·e·s ont regardé The Last Shift de Tony Trembly et Ellen Rose, un documentaire qui explore la vie et la mort de la production de papier dans la ville de Dalhousie, dans le nord du Nouveau-Brunswick. Il y a beaucoup à apprendre de ce documentaire sur les relations hommes-femmes, la racialisation et les relations de Dalhousie avec la nature. Notre exploration s’est concentrée sur l’évolution des attentes en matière de travail, d’avantages sociaux, d’avancement professionnel et de culture de la classe ouvrière, en établissant une comparaison explicite entre l’époque actuelle et l’apogée de la papeterie dans le nord du Nouveau-Brunswick. Les étudiant·e·s disposaient également d’une lecture complémentaire au documentaire et, plus tôt dans le cours, ils et elles ont reçu des données sur le caractère de l’inégalité économique.
Notre objectif n’est pas de déprimer les étudiant·e·s, mais de soulever des questions sur la nature historiquement changeante des structures de travail. Les conclusions que l’on peut tirer de cette histoire ne sont pas nécessairement brillantes. Elles montrent l’émergence d’une économie des petits boulots, la recomposition raciale de la classe ouvrière et les résultats du conflit de classe lorsque la classe ouvrière a perdu.
Lorsque nous avons discuté de ce discours et de ces développements en classe, et plus tard lorsque nous avons lu un devoir que les étudiant·e·s devaient faire sur le sujet, nous avons été frappés par le nombre considérable d’étudiant·e·s qui cherchaient – profondément – une fin heureuse. Ce n’était pas l’histoire que nous cherchions à raconter, mais ce que nous avons entendu en retour était quelque chose de proche d’un discours Whig modifié : un recadrage de l’économie des petits boulots comme un développement positif plein d’opportunités d’emploi. En relisant les travaux, nous nous sommes demandés : pourquoi nos étudiant·e·s ont-ils et elles raconté cette histoire ? Et quelles sont ses implications ?
Un certain nombre de réponses viennent à l’esprit. Il s’agit d’étudiant·e·s de première année, dont la moitié au moins suivait le cours parce qu’ils et elles avaient besoin d’un crédit de distribution. La plupart de nos étudiant·e·s – mais pas tous·tes – sont issu·e·s de la classe moyenne. Leur monde en dehors de la salle de classe peut en effet sembler assez bon. Il est également difficile d’échapper à l’idéologie de l’amélioration – des choses qui s’améliorent – et il peut y avoir une tendance quelque peu naturelle (un mot que nous utilisons avec prudence) à vouloir voir des fins heureuses. Cela confère une sorte de dynamique rédemptrice à un discours qui, autrement, raconte une histoire différente.
Il existe également des possibilités plus graves, mais nous les éviterons pour l’instant afin de nous concentrer sur autre chose. Nous soupçonnons que le besoin d’une fin heureuse est alimenté par une série de facteurs différents, mais ce n’est peut-être pas une chose horrible. D’une part, il est prouvé que les étudiant·e·s optimistes apprennent mieux que les étudiant·e·s pessimistes. L’optimisme, quelles que soient ses origines, pourrait donc être un élément utile de l’enseignement et de l’apprentissage. Depuis la fin de la dernière année universitaire – et avant le début de celle-ci – nous avons eu l’occasion d’exposer nos préoccupations lors de la journée annuelle d’enseignement de printemps de notre institution et de les présenter à la conférence Dalhousie 2024 sur l’enseignement et l’apprentissage à l’université. Nos collègues nous ont fait toute une série de suggestions et nous ont aidés à affiner notre réflexion.
Il se peut aussi que les étudiant·e·s soient à la recherche de réponses et de solutions. Parallèlement aux discours du colonialisme et du repli néolibéral, il existe des discours de résistance et de résilience. Ceux-ci ne peuvent pas devenir des alibis pour le colonialisme, mais ils peuvent indiquer des discours dans lesquels l’optimisme peut être justifié. Qui plus est, il est prouvé que les discours optimistes tendent à être plus stimulants politiquement que les discours négatifs.
La grave possibilité est que les discours d’un Canada bienveillant – par exemple, d’une nation caractérisée par la tolérance, la diversité et le maintien de la paix – sont trop profondément ancrés pour être ébranlés, même lorsque les problèmes du Canada et de son évolution historique sont reconnus. Nous ne sommes pas du tout certains que ce soit le cas. La vision d’un avenir optimiste est nécessaire, comme l’a affirmé Antonio Gramsci il y a longtemps, pour une politique progressiste. L’optimisme doit cependant être équilibré par une conception lucide de notre situation historique actuelle. Est-ce le genre d’optimisme que portent nos étudiant·e·s ? Nous l’espérons.
Andrew Nurse, James Hahn, Courtney Mrazek, Elizabeth Jewett
Études canadiennes, Université Mount Allison
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Andrew Nurse est directeur intérimaire des études canadiennes et vit à Sackville, au Nouveau-Brunswick, avec sa femme Mary Ellen. Il fait des recherches sur l’histoire des médias en plus de s’intéresser à l’enseignement et à l’apprentissage.
James Hahn (iel) est un colon queer et non-binaire dont les recherches portent sur les littératures et l’historiographie des colons et des autochtones au Canada.
Courtney Mrazek est une historienne sociale de la santé au Canada au XXe siècle qui s’intéresse particulièrement à la santé publique, à l’eugénisme et à la manière dont le colonialisme a façonné et continue de façonner les structures et les expériences en matière de soins de santé. Elle est actuellement titulaire de la bourse postdoctorale W.P. Bell en études canadiennes à l’université Mount Allison. Ses projets de recherche actuels comprennent l’examen de la démographie des patients dans les sanatoriums de la région de l’Atlantique du Canada, l’activisme des femmes en matière de santé dans les régions rurales de Terre-Neuve et du Labrador dans les années 1980, et l’élargissement de sa recherche de thèse.
Elizabeth (Beth) Jewett est une historienne de l’environnement dont les recherches portent également sur l’histoire du sport et des loisirs, ainsi que sur l’histoire de l’alimentation. Ses projets en cours comprennent l’histoire des paysages des terrains de golf au Canada entre les années 1870 et 1940 et l’histoire du développement de l’industrie du sirop d’érable au Canada. Elle est membre de la faculté d’études canadiennes et directrice de l’apprentissage étendu à l’université Mount Allison.