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Les prix Clio
Benoît Grenier, Persistances seigneuriales : Histoire et mémoire de la seigneurie au Québec depuis son abolition. Septentrion, 2023.
Persistances seigneuriales : Histoire et mémoire de la seigneurie au Québec depuis son abolition explore la façon dont les structures socioéconomiques durent et perdurent dans les institutions politique et dans la mémoire individuelle au fil des décennies. Instaurée dans la vallée du Saint-Laurent avec la colonisation française au XVIIe siècle, maintenue par le régime britannique après la Conquête, l’institution seigneuriale survit bien au-delà de son abolition formelle en 1854. Plusieurs historiens et historiennes avaient pris note de cette persistance, que ce soit dans la morphologie du paysage ou dans la toponymie, ou encore dans la réalité économique très concrète de générations de cultivateurs qui ont continué à payer une forme ou une autre de rente aux descendants de leurs anciens seigneurs – une pratique qui s’est poursuivie jusque dans les années 1970 dans certains cas.
Or, Benoît Grenier a, avec cet ouvrage, le grand mérite de placer au centre de l’analyse ce qui, sous la plume d’autres spécialistes de l’histoire seigneuriale, a jusqu’ici eu tendance à être un constat anecdotique relégué à l’épilogue. Cette abolition graduelle, incomplète est ici examinée dans le détail jusque dans ces échos dans la mémoire des individus et des familles qui en ont été partie prenante. Fruit d’un programme de recherche qui s’est déployé sur une décennie, l’ouvrage mêle avec beaucoup d’originalité et d’habileté la recherche en archive, le recours aux sources littéraires et une démarche d’histoire orale auprès des descendants de ces familles seigneuriales, témoins privilégiés de la lente mort d’un système plusieurs fois centenaire. Grenier nous permet de constater que cette lente abolition du régime seigneurial favorise avant tout les seigneurs et leurs familles, qui sont indemnisés pour la perte de leurs droits et conservent la propriété des terres non concédées, mais aussi que le souvenir de ce système demeure, teinté de nostalgie et ancré dans une conception traditionnelle des rapports socioéconomiques qui, en réalité, n’étaient pas toujours harmonieux. L’ouvrage, écrit dans un style à la fois rigoureux et sympathique, aura le mérite d’être apprécié tant par le grand public que par les spécialistes.