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Éric Bédard, Béatrice Craig, Royden Loewen & Gerald Friesen, William Morrison, Liza Piper, Becki L. Ross, Sharon Wall

Les prix Clio

2010

Le Canada atlantique
Béatrice CraigBackwoods Consumers and Homespun Capitalists: The Rise of a Market Culture in Eastern Canada. 
Le travail de Béatrice Craig portant sur la région de Madawaska et ses études sur la vie économique dans les communautés rurales sont réputés, entre autres, pour leurs explorations approfondies de la production intérieure, des genres, et de la transmission des richesses de génération en génération. Ces thèmes comptent d’ailleurs parmi ceux que l’auteure traite en détail dans Backwoods Consumers and Homespun Capitalists: The Rise of a Market Culture in Eastern Canada (UTP 2009). Ce livre examine la façon dont l’emplacement géographique du territoire de Madawaska, la nature de ses ressources et son statut politique incertain au cours de la majeure partie de la période à l’étude, ont fait en sorte qu’il fasse partie de trois régions se chevauchant, c’est-à-dire le Nouveau-Brunswick, le Bas-Canada et la Nouvelle-Angleterre. Backwoods Consumers and Homespun Capitalists contribue grandement à l’histoire économique du Nouveau-Brunswick et à notre compréhension collective des économies des colonies en général.
Béatrice Craig met à profit une excellente maîtrise des données de sources originales ainsi qu’une solide et importante historiographie, ce qui lui permet de présenter une analyse convaincante qui tient compte à la fois des particularités de la région en question, tout en la situant dans le contexte plus large de l’évolution de la structure commerciale capitaliste. Selon l’auteure et pour reprendre son image, l’économie moderne ne se trouvait pas dans les coulisses, toute prête et n’attendant que la première occasion pour monter sur scène, mais découle plutôt d’un ensemble de mesures prises par une myriade d’individus s’efforçant de trouver des solutions à des problèmes dont ils ne connaissaient pas très bien les causes. Et cette conclusion représente un défi pour la réinterprétation du développement économique dans les contextes coloniaux.

La Colombie-Britannique
Becki L. RossBurlesque West: Showgirls, Sex, and Sin in Postwar Vancouver. 
Burlesque West traite de la fascinante histoire sociale de l’industrie du divertissement pour adulte, plus précisément de l’effeuillage à Vancouver au cours des décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. À partir d’une recherche archivistique importante ainsi que d’entrevues menées auprès de cinquante anciennes danseuses, de propriétaires de club, de musiciens, de chorégraphe et d’agents artistiques, ce livre place au premier rang la voix des marginaux victimes de calomnies, leur redonnant ainsi une certaine fierté. Becki Ross fait ressortir la perception qu’ont les danseuses de leur travail et qui pourrait correspondre à une forme d’athlétisme professionnel, sans édulcorer les conditions difficiles qui s’y rattachent. Selon elle, la scène burlesque de Vancouver a été un moteur important dans le développement des économies locales et touristiques. L’auteure compare de manière frappante les clubs de striptease des deux extrémités de la ville, mettant ainsi en évidence les différences entre les ethnies et les classes que peu de chercheurs de Vancouver ont explorées.
Elle arrive de façon convaincante à démontrer que l’univers de l’effeuillage fait réellement partie de l’histoire du travail, ce qui constitue un autre des principaux apports du livre. Par ailleurs, ses interviews avec d’anciennes danseuses l’ont amenée à considérer ces dernières comme beaucoup plus que de simples travailleuses devant composer avec des conditions se dégradant et des dangers sur les lieux de travail, et voyant leurs efforts de se syndiquer sans cesse obstrués. Son étude évalue le commerce, la sexualité, les rapports hommes-femmes, l’ethnicité et la moralité, autant d’enjeux complexes et apparentés qui renseignent sur la vie de ces femmes et des propriétaires de clubs. Elle tient compte de l’importante évolution qui s’est produite au fil du temps, des changements au niveau des styles de présentations et des attentes du public ayant entraîné ce que les personnes interrogées semblent percevoir comme une « déqualification » de l’industrie. Contribution grandement originale à l’historiographie, ce livre, très facile à lire, est certainement digne du prix Clio Colombie-Britannique.

Le Nord
Liza PiperThe Industrial Transformation of Subarctic Canada. Vancouver: UBC Press, 2009.
C’est avec plaisir que nous décernons le prix Clio Nord à Liza Piper pour The Industrial Transformation of Subarctic Canada, une étude très consciencieuse et pénétrante, fruit d’une sérieuse recherche. Liza Piper présente bien les principaux acteurs de la région –bureaucrates, cadres d’entreprise, ingénieurs, travailleurs d’usine et Autochtones – mais les changements environnementaux survenus dans la vaste région entourant les lacs du Canada subarctique, incluant le Grand lac de l’Ours, le Grand lac des Esclaves, le bassin d’Athabasca et le lac Winnipeg, demeurent au cœur de son ouvrage. La région subarctique s’est beaucoup industrialisée de 1921 à 1960, des entreprises comme Eldorado, Cominco, Gunnar, Giant et Imperial Oil y menant des activités d’exploitation minière, de pêche et d’extraction pétrolière. L’auteure examine le développement du Nord et sa transformation industrielle avec l’œil d’une historienne de l’environnement chevronnée, en en mesurant certaines des conséquences, dont les sérieux impacts écologiques des résidus miniers, des nouvelles voies de communication, des rivières endiguées et de la mortalité massive de poissons. Elle entremêle également l’histoire liée à l’État, le monde de l’entreprise en Amérique du Nord, les prospecteurs autochtones, les pêcheurs et les ouvriers ainsi que les travailleurs et les professionnels extérieurs, ce qui lui permet de jumeler un ensemble de personnages et d’événements de manière à former une trame complexe qui rappelle peu la traite des fourrures d’autrefois. Comme tout bon livre sur l’histoire de l’environnement, celui-ci nous porte à déplorer l’intrusion destructive et perturbatrice du « progrès » venant rivaliser avec l’idée d’un traitement plus durable des lacs. De plus, il nous pousse à considérer la résilience des Autochtones face à de tels changements, ainsi que l’interaction créative entre le travail humain et le processus naturel qui est à la source des paysages industriels qu’on retrouve dans l’environnement subarctique.

Prix de distinction honorifique
William Morrison vient de prendre sa retraite après quarante ans de services. Il a commencé sa carrière comme professeur à l’Université de Brandon en 1969, pour la poursuivre brillamment et occuper, à partir de 1991, plusieurs postes administratifs à l’Université du nord de la Colombie-Britannique. En tant que chercheur, il se distingue comme « northernist », suivant les traces de son mentor Morris Zaslow. William Morrison a encouragé les historiens non seulement à situer le Nord dans le cadre national, mais également à comprendre le développement qui s’y inscrit et les identités qui s’y expriment dans le contexte même des communautés et des régions. En ce sens, il a été innovateur et a permis à l’histoire du Nord canadien de prendre de nouvelles directions. On peut dire qu’à bien des égards, son œuvre a remodelé le domaine. William Morrison a publié deux livres, Showing the Flag and True North: The Yukon and Northwest Territories, ainsi que treize monographies et plusieurs articles en collaboration avec Ken Coates. Son dernier livre cosigné, Arctic Front: Defending Canada in the Far North, a remporté le prestigieux prix Donner 2009 pour le meilleur livre canadien sur la politique publique. William Morrison a stimulé l’intérêt des étudiants des trois cycles universitaires pour le Nord et a grandement contribué à enrichir le domaine. Nous espérons qu’il continuera à nous transmettre ses connaissances du Nord canadien tout en profitant d’une confortable retraite à Kelowna, en Colombie-Britannique.

L’Ontario
Sharon WallThe Nurture of Nature: Childhood, Antimodernism, and Ontario Summer Camps, 1920-55. Vancouver: UBC Press, 2009.
Cette étude plaisante et accessible examine les camps d’été, un phénomène principalement ontarien au Canada. Selon l’auteure, si l’idée du camp d’été découle d’un mouvement antimodernisme, elle est en réalité fondamentalement ancrée dans le modernisme. En effet, les moniteurs de camp essayaient d’ordonner et de contrôler les paysages « naturels », ainsi que d’en tirer profit. Sharon Wall étudie les camps privés élitistes, les camps dirigés par des associations telles que les Guides, ainsi que les camps de plein air soutenus par des organismes de charité et offerts aux défavorisés de la ville, prenant en considération les aspirations, parfois contradictoires, des moniteurs, des parents et des enfants. Elle utilise de façon nuancée un grand éventail de sources orales et documentaires alors qu’elle suit de près les tensions entre les idéaux culturels divergents. En se fondant sur des études antérieures portant sur les aires naturelles, ce livre fournit de nombreux apports de valeur à notre compréhension du modernisme en Ontario, incluant des idées sur l’enfance et la jeunesse, la culture de consommation, le rôle des sexes, les loisirs, les classes sociales et les races.

Les Prairies
Royden Loewen & Gerald FriesenImmigrants in Prairie Cities: Ethnic Diversity in Twentieth-Century Canada. Toronto: University of Toronto Press, 2009.
Ce livre innovateur cosigné par Royden Loewen et Gerald Friesen entrelace les études sur les immigrants et sur l’ethnicité et celles sur l’espace géographique, notamment l’espace urbain des Prairies, dans le but de proposer une nouvelle façon de conceptualiser de l’Ouest. Construit de façon chronologique, l’ouvrage met l’accent à la fois sur la continuité et le changement à travers le temps, tout en liant ces facteurs aux changements économiques, culturels, sociaux et politiques plus vastes survenus sur les plans régional, national, voire international. Ainsi, les auteurs démontrent comment les gens qui ont immigré vers les villes des Prairies ont lutté pour conserver leur identité ethnique alors qu’ils étaient confrontés au nativisme et au développement de la conscience communautaire, deux phénomènes étroitement liés. Ils étudient l’évolution des attitudes culturelles au cours du vingtième siècle, due en partie aux changements dans les politiques d’immigration ainsi qu’aux répercussions des conflits internationaux, mais aussi aux nouveaux rythmes qui ont été adoptés à l’intérieur même des villes. Les communautés religieuses ont forgé et ancré les identités ethniques. Puis, les progrès en matière de transports et de communication sont venus accentuer les écarts entre les identités. En effet, les individus et les familles ont pu se dresser de nouvelles « cartes mentales » sur lesquelles situer à la fois leur lieu d’origine et leur nouvelle communauté, et cela, de façon à pouvoir communiquer facilement avec l’un comme avec l’autre, ou même de pouvoir s’y rendre sans difficulté. Après Diefenbaker, l’uniformité de l’identité canadienne est devenue un mythe de l’Ouest, mais comme le démontrent les auteurs, il arrivait souvent que les politiques provenant des hautes instances ne soient pas synchronisées avec les mesures mises en œuvre à l’échelle régionale. Les festivals folkloriques, qui se sont multipliés durant la deuxième moitié du siècle, ont permis non seulement de créer des caricatures des coutumes ethniques, mais aussi de préserver des liens importants, et sûrement romancés, avec les traditions « vieux comté » d’une autre époque.L’importance de ce livre se situe sur au moins deux plans qui valent la peine d’être mentionnés. Dans un premier temps, les auteurs réunissent les documents qui ont été réalisés récemment et qu’on a parfois perçus comme une série d’études communautaires ou ethniques trop disparates et éclectiques. En faisant de la sorte, ils brossent un portrait plus complet et approfondi du processus complexe qu’est celui de la formation de la communauté urbaine des Prairies, qui tient compte à la fois des thèmes bien connus de l’accommodation et de la résistance, et d’autres moins souvent abordés tels que les dynamiques familiales interethniques et les conflits sévissant au sein d’une même ethnie. Dans un deuxième temps, l’analyse des auteurs met étroitement l’accent sur la vie urbaine des Prairies dont on fait trop souvent fi, en déterminant les caractéristiques qui sont propres à la région ainsi qu’en mettant en contexte l’expérience que connaît l’immigrant dans cet ensemble de communautés sous-représentées de l’Ouest.

Le Québec
Éric BédardLes Réformistes. Une génération canadienne-française au milieu du XIXe siècle. Montréal : Boréal, 2009.
L’ouvrage d’Éric Bédard constitue une œuvre majeure. Une œuvre féconde parce que solidement ancrée dans le présent et dont la lecture soulève des questions nombreuses et pertinentes. Une œuvre d’importance surtout par l’éclairage nouveau qu’elle jette sur les leaders d’une période somme toute encore méconnue de l’histoire du Québec, soit celle allant des rébellions de 1837-1838 à la Confédération. De cette génération réformiste qui a joué un rôle significatif dans la vie politique et sociale de cette époque, Éric Bédard étudie notamment les figures emblématiques que sont Étienne Parent, Louis-Hippolyte LaFontaine et George-Étienne Cartier. Il se penche également sur certains personnages moins connus, Joseph-Édouard Cauchon et Antoine Gérin-Lajoie entre autres. Ce sont une dizaine d’hommes qui forment cette « nébuleuse réformiste » qui a orienté les décisions prises au nom de la nationalité canadienne-française (p. 15) et dont Bédard a fait l’objet de son étude.Après une introduction exemplaire et limpide, l’ouvrage se décline en six chapitres qui ont pour objectif de comprendre la pensée réformiste tant sur le plan politique qu’économique, social, religieux ou encore national. La démonstration est solide, bien documentée et elle apporte une contribution originale au débat sur la modernité du Québec dont les réformistes paraissent témoigner. Sur le plan historiographique, l’auteur, pragmatique, prend franchement position dans plusieurs débats, et il le fait sans complexe par rapport à ses devanciers. Par son style alerte et la clarté des idées exprimées, Les Réformistes pose un jalon important dans l’actuelle entreprise de revalorisation de l’histoire politique et nationale du Québec.