Récent.e.s lauréat.e.s
Le prix du meilleur livre savant en histoire canadienne de la SHC
Ian McKay. Reasoning Otherwise. Leftists and the People’s Enlightenment in Canada, 1890-1920. Toronto, Between The Lines.
Plutôt que d’examiner l’histoire des groupes, partis et organisations issus de cette «première formation» (first formation) de socialistes, comme l’ont fait d’autres historiens avant lui, McKay examine plutôt le contexte social, économique, culturel et intellectuel qui a présidé à leur émergence. C’est surtout là où repose la grande force et toute l’originalité de cet ouvrage. Utilisant une stratégie de reconnaissance, dont il a développé les prémisses dans son premier opus Rebels, Reds, Radicals : Rethinking Canada’s Left History, il offre une nouvelle vision de cette gauche et de l’héritage qu’elle a légué à ses successeurs. D’un œil sympathique, mais toujours critique, il examine le parcours biographique et politique, mais surtout les influences intellectuelles (notamment Spencer, Darwin et Marx) et l’évolution de la pensée de plusieurs de ses figures de proue, éclairant ainsi sous un nouveau jour les débats ou les prises de positions souvent contrastées de plusieurs de ces activistes sur la question de la classe, de la religion, des femmes, de la race et de la démocratie. Loin d’apparaître comme un groupe univoque, monolithique ou dogmatique, la gauche que dépeint McKay se révèle multiple, en constante évolution et engagée dans une réflexion qui a des incidences majeures sur la nature de ses actions, les luttes qu’elle entreprend et les tactiques qu’elle déploie. Toujours nuancée, sa démonstration fait montre de la très grande érudition de son auteur qui analyse en profondeur les textes fondateurs de cette première formation pour mieux en comprendre les stratégies d’actions. Il en résulte un ouvrage à la fois solide et fascinant qui redonne à la gauche une profondeur qui lui manquait.
Mentions honorables :
Peter Baskerville. A Silent Revolution? Gender and Wealth in English Canada, 1860-1930. Montréal, MQUP.
Peter Baskerville examine l’évolution de la richesse des femmes à Victoria et à Hamilton en se fondant sur les recensements, les cadastres, les dossiers de succession, les testaments, l’inscription à la cote des actions bancaires et sur les actions des compagnies d’assurance. À partir de cette information, qu’il manipule intelligemment, il soutient qu’un profond changement social est venu transformer la répartition des richesses et la participation économique des hommes et des femmes à partir du 19e siècle jusqu’au début du 20e siècle dans le Canada anglais. C’est en bonne partie grâce aux nombreuses lois sur les biens de la femme mariée ainsi qu’à l’évolution des habitudes sociales que les femmes mariées, les veuves et les femmes célibataires ont commencé à se faire une place de plus en plus importante dans le monde du capital en milieu urbain et à participer à un large éventail d’activités en tant que propriétaires, entrepreneures et investisseuses. Mais bien que cette progression témoigne d’une orientation commerciale associée à une citoyenneté libérale, l’auteur nous rappelle que les inégalités sont toujours présentes. Ce livre dresse un portrait nouveau de la richesse des femmes en milieu urbain. En effet, il aborde bien des aspects que les historiens canadiens ont à peine effleurés en ce qui concerne l’héritage urbain et toute une gamme de pratiques qui a permis aux hommes comme aux femmes de déclarer aux recenseurs vivre selon leurs propres moyens.
Louise Dechêne. Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français. Montréal, Boréal.
Le peuple, l’État et la guerre au Canada sous le Régime français réinterprète l’histoire de la Nouvelle?France en mettant le conflit militaire au coeur de la vie des gens, de la société et des stratégies de l’État, puis en situant la société au centre des combats, de l’armée et de la guerre. Louise Dechêne considère les besoins militaires et en conclut que le rôle qu’a joué l’État dans la vie des colons est plus important que celui que lui attribuent la plupart des historiens. On exigeait beaucoup des colons en temps de guerre non seulement en matière d’impôt, mais également en charge de travail, travail qu’on voulait productif. Contrairement aux stéréotypes qui dominaient alors et qui sont toujours présents, elle donne à penser que les Canadiens n’étaient pas des batailleurs acharnés. En effet, c’est plutôt à contrecoeur que les hommes joignaient la milice ou l’armée puisque leur absence allait priver les fermes de force de travail et les familles, de protection. Elle dépeint les milices locales, variant des villes à la campagne, certes à peu près toutes pauvrement armées et entraînées : elles allaient se battre lorsque nécessaire pour protéger les familles et la terre, pour montrer leur loyauté envers le roi. Elle ajoute également que les habitants de la Nouvelle?France ne se sont pas forgé une identité les différenciant des soldats français ou des nouveaux immigrants qui venaient constamment remplir leurs rangs. Qui plus est, l’historienne insiste sur l’importance stratégique et numérique des alliés amérindiens dans les escarmouches, les raids et les batailles de la Nouvelle?France qui a fait d’eux la principale force militaire de la colonie. Sa recherche est exhaustive, ses arguments, brillamment fondés, si bien que sa réinterprétation magistrale du régime français au Canada aborde à peu près tous les enjeux historiographiques concernant la Nouvelle?France. Hélène Paré, Sylvie Dépatie, Catherine Desbarats et Thomas Wein ont révisé et complété le livre qu’a laissé inachevé Louise Dechêne lorsqu’elle est décédée en 2000. Le comité honore leur formidable travail qui a rendu ce livre remarquable accessible aux chercheurs.