Récent.e.s lauréat.e.s

Les prix Clio
Les Prairies
Maureen K. Lux, Medicine That Walks: Disease, Medicine, and Canadian Plains Native People, 1880-1940 (University of Toronto Press, 2001).
Dans Medicine that Walks, Maureen Lux propose une toute nouvelle analyse de la maladie chez les peuples autochtones des Plaines canadiennes, de 1880 à 1940. Elle remet en question la théorie de «la population vierge» avancée pour expliquer pourquoi des épidémies ont sévi à répétition chez les Premières Nations jusqu’assez tard au XXe siècle. La colonisation canado-européenne dans les Prairies s’est accompagnée d’une invasion militaire, économique et culturelle; par ailleurs, durement affectés par la disparition des troupeaux de bisons et forcés de s’établir dans les réserves, les Autochtones ont connu l’extrême pauvreté, la malnutrition et la surpopulation. Pour les peuples autochtones, la santé ne se définissait pas simplement par l’absence de maladie, mais plutôt par un sentiment de bien-être global relié au fait d’avoir de la nourriture, des vêtements, un abri et l’autodétermination politique. Le gouvernement canadien, quant à lui, associait la pauvreté des peuples autochtones à leur piteux état de santé. Les bureaucrates, les missionnaires et les médecins se fondaient sur le langage quasi-scientifique de l’évolution raciale pour expliquer le haut taux de mortalité et la mauvaise santé endémique des peuples des Plaines, situation qu’ils considéraient comme une étape obligée de l’ascension de ces peuples vers la «civilisation». Le livre de Maureen Lux, fort bien fouillé, s’appuie sur la consultation de sources orales et de dossiers documentaires, et s’inspire de l’ethnographie, de l’archéologie, de l’épidémiologie, et de l’ethnobotanique. Il démontre que la pauvreté et les mauvaises conditions de vie ont créé un terreau propice à la contagion des maladies dans les collectivités autochtones, qui, en dépit des circonstances, ont réussi à survivre et ont constamment exigé de jouer un rôle dans le processus de leur guérison. Ce livre provocant vient ébranler l’historiographie actuelle en posant de nouvelles questions fondamentales sur les causes des problèmes de santé des Premières Nations des Prairies, et sur le prétendu déclin consécutif de la médecine autochtone. L’originalité du livre tient spécialement au fait que l’auteure a su intégrer les démarches de l’histoire de la médecine avec les conceptions autochtones de la santé et de la maladie; l’ouvrage révèle ainsi une nouvelle dimension de l’interaction entre les peuples autochtones et les Canado-Européens.
Le Canada atlantique
Margaret Conrad & James K. Hiller, Atlantic Canada: A Region in the Making (Oxford University Press, 2001).
Ces deux historiens, dont la réputation n’est plus à faire, présentent ici la synthèse d’une historiographie complexe. L’ouvrage, bien que savant, demeure d’une lecture accessible à tous. Travaillant à l’intérieur de paramètres fixés par leur éditeur, les auteurs couvrent 500 ans d’histoire régionale en alliant concision et élégance. Ils obtiennent ainsi un livre remarquablement équilibré, qui, tout en résumant les travaux de recherche actuels (y compris les recherches archéologiques) sur la région de l’Atlantique, les présente dans un style clair et dans un format populaire. Les auteurs portent une attention égale aux différentes régions de l’Atlantique, ainsi qu’aux Premières Nations, aux groupes ethniques et aux deux sexes. Ce traitement équitable des différents points de vue, qui se retrouve exprimé tant dans les textes que dans le choix des illustrations, rend la synthèse particulièrement intéressante. Les auteurs reconnaissent que la notion de «région de l’Atlantique», qui s’impose après 1949, est largement une création de l’État fédéral; ils réussissent néanmoins à montrer qu’il existe des points communs dans la vie des gens de ces régions disparates, qui forment aujourd’hui ce que l’on appelle les provinces de l’Atlantique. Le livre de Margaret Conrad et de James Hiller constitue un bon manuel scolaire sur cette région; de plus, il corrige le déséquilibre de l’historiographie récente en consacrant plus de pages à la période précédant la Confédération qu’à celle suivant 1867. Les cartes, les photographies et les illustrations ont été choisies dans un grand souci d’efficacité et elles fournissent, dans de nombreux cas, des renseignements importants sur le passé. Les professeurs qui enseignent dans les universités et dans les collèges disposent enfin d’un ouvrage qui peut avantageusement remplacer la monographie de W.S. MacNutt de 1965. Dans son ensemble, Atlantic Canada: A Region in the Making est une histoire populaire utile et attrayante, qui devrait faire des vagues dans les cercles universitaires et ailleurs.
La Colombie-Britannique
Adele Perry, On the Edge of Empire: Gender, Race, and the Making of British Columbia, 1849-1871 (University of Toronto Press, 2001).
L’ouvrage d’Adele Perry, à la fois savant et coloré, porte sur le sexe et la race dans la Colombie-Britannique coloniale. L’auteure démontre que malgré tous leurs efforts, les missionnaires, les politiciens, les journalistes et d’autres groupes de réformateurs n’ont pas réussi à régir les mœurs «sur la frontière de l’Empire». La culture sociale homogène des hommes blancs et les relations qu’ils entretenaient avec les femmes autochtones résistaient à toute transformation; les programmes d’immigration massive et les politiques foncières élaborés par les réformateurs afin de redresser la colonie ne furent jamais mis en place et le «miracle escompté» ne se produisit jamais. Au contraire, au lieu de remettre la société coloniale dans le droit chemin, l’immigration subventionnée de femmes blanches fit encore plus ressortir les contradictions entre la réalité et les visées de l’Empire. Adele Perry conclut que l’organisation de la société britanno-colombienne s’est opérée par le jumelage de deux pratiques, à savoir la relocalisation des colons blancs et l’expropriation des peuples autochtones; elle constate aussi que l’entrelacement des genres et des races est au cœur même du processus colonial en Colombie-Britannique. En empruntant aux théories féministes, au marxisme, aux théories postcoloniale et poststructuraliste, l’auteure tisse habilement ses idées pour construire son raisonnement de façon convaincante. Ce livre important ravive et monte d’un cran le débat sur les genres, la race et les classes sociales, débat qui fait rage chez les historiens de la Colombie-Britannique depuis au moins trente ans. Il est certain que le livre suscitera de nombreuses autres discussions au cours des prochaines années.
Le Québec
Serge Courville & Normand Séguin (dir.). Atlas historique du Québec. La paroisse (Presses de l’Université Laval, 2001).
Cette étude remarquable porte sur une entité fondamentale dans la compréhension de la structuration du paysage et de l’évolution sociohistorique du Québec. Usant d’angles variés d’approche, l’ouvrage rend compte avec brio de la place centrale de la paroisse catholique comme lieu de sociabilité urbaine et rurale, d’appartenance socioculturelle et de rencontre avec la réalité abstraite de l’État. L’organisation de l’argumentation expose systématiquement les diverses composantes de la réalité paroissiale (origine et évolution, paysage et organisation, milieu de vie, expansion à l’extérieur du Québec). Les parties sur le prolongement de la paroisse à l’extérieur du Québec, du territoire de l’au-delà, ainsi que sur ses rapports avec l’administration étatique constituent des apports majeurs en regard de l’historiographie existante. S’inscrivant avec bonheur dans le projet ambitieux des Atlas historiques du Québec, le volume sur La paroisse témoigne bien du caractère heuristique de l’interdisciplinarité (géographie, histoire, anthropologie) lorsqu’il s’applique à une réalité complexe trop souvent ramenée à sa simple composante institutionnelle. Enfin, la cartographie et l’iconographie sont somptueuses et très efficaces.
L’Ontario
Alexandra Palmer, Couture and Commerce: The Transatlantic Fashion Trade in the 1950s (University of British Columbia Press, 2001).
Couture and Commerce étudie le lien entre les maisons de couture parisiennes et le monde de la mode à Toronto dans les années 1950. Alexandra Palmer s’est tournée vers des sources nouvelles et originales – histoire orale, dossiers de compagnies, et photographies de croquis de modèles – pour redonner à l’histoire de la mode, une dimension du passé de l’Ontario souvent laissée pour compte, une place au sein de l’historiographie ontarienne. L’auteure attire ici notre attention sur l’importance des relations entre Toronto et l’Europe durant cette décennie. D’autres études ont déjà tracé les liens entre l’Ontario, la Grande-Bretagne et les États-Unis; mais l’ouvrage d’Alexandra Palmer jette un nouvel éclairage sur la place de l’Ontario à l’intérieur d’un marché international plus large. Couture and Commerce est écrit dans un style engageant et accessible, et témoigne d’une recherche approfondie en histoire de la mode et en culture matérielle. Les magnifiques illustrations du livre ont été soigneusement choisies pour expliquer comment et pourquoi les clients portaient des vêtements de haute couture. En recourant habilement à la culture matérielle, Alexandra Palmer ouvre de nouvelles pistes de recherche stimulantes en histoire de l’Ontario.
Le Nord
Renée Fossett, In Order to Live Untroubled: Inuit of the Central Arctic 1550 to 1940 (University of Manitoba Press, 2001)
Renée Fossett a produit un travail de recherche consciencieux et pénétrant sur les Inuits de l’Arctique central, auprès desquels elle a vécu dix ans. Les observations tirées de son expérience personnelle apportent une dimension très riche à son étude, qui repose sur la consultation d’une grande variété de sources archivistiques et orales. In Order to Live Untroubled analyse plus de 400 ans d’histoire inuite et examine, dans une approche chronologique et thématique, la transformation de la vie inuite dans la région. En survolant autant de siècles, l’auteure peut du même coup décrire l’histoire et les modes de vie inuits de la période précédant le contact avec les Blancs, puis mesurer l’impact des présences successives des Européens et des autres étrangers sur les peuples de l’Arctique central. On apprend de quelle manière créative les Inuits ont réagi à l’intrusion et à l’arrivée des étrangers, et comment leur mode de vie en a été affecté, et même parfois complètement bouleversé. Ce livre est une contribution importante et précieuse à la recherche sur le Nord canadien. Il se distingue particulièrement par l’étendue de la recherche et par l’équilibre qu’il réussit à garder entre la pensée inuite et les perspectives théoriques issues d’une vaste consultation des sources secondaires. Le comité est heureux de déclarer l’ouvrage de Renée Fossett, In Order to Live Untroubled, lauréat du prix 2002 en histoire régionale (Nord canadien) de la Société historique du Canada.