Récent.e.s lauréat.e.s

Les prix Clio
L’ATLANTIQUE
Raymond B. Blake, Lions or Jellyfish: Newfoundland-Ottawa Relations Since 1957. Toronto: UTP, 2015.
Lions or Jellyfish est une étude soignée de la relation souvent tendue entre Ottawa et Terre-Neuve-et-Labrador. Bien que de nombreux éléments de cette histoire soient bien connus, le récit de Raymond Blake est habilement structuré et son analyse considérablement sophistiquée.
Comme l’indique Blake, la province ne s’est jamais entièrement adaptée à la Confédération. Les différends publics et enflammés entre les deux gouvernements sur les transferts fédéraux, la gestion des revenus de la pêche, les recettes pétrolières et gazières et le renouvèlement constitutionnel ont attisé les feux du nationalisme terre-neuvien au cours des six dernières décennies. La description de ces confrontations par Blake est détaillée et convaincante, et reflète une recherche considérable effectuée dans les documents gouvernementaux et privés.
Toute analyse des relations intergouvernementales doit discuter de la personnalité des dirigeants politiques, mais Blake va au-delà de simples personnalités, aussi colorées qu’elles puissent avoir été. Il se penche sur les aspects économiques, les pensées politiques et culturelles contemporaines et la bureaucratie qui limitaient les choix des politiciens provinciaux et fédéraux. En revanche, Blake nous permet de savourer encore une fois les querelles désagréables entre John Diefenbaker et Joey Smallwood, entre Brian Peckford et Pierre Trudeau et, plus récemment, entre Danny Williams et Stephen Harper.
Lions or Jellyfish apporte une contribution importante à l’histoire du fédéralisme canadien et nous incite à nous demander pourquoi il n’y a pas eu davantage d’études qui ont été faites sur les relations parfois acrimonieuses, trucculentes et contestées entre Terre-Neuve et Ottawa.
LE QUÉBEC
Amélie Bourbeau, Techniciens de l’organisation sociale. La réorganisation de l’assistance catholique privée à Montréal (1930-1974). McGill-Queen’s University Press, 2015.
Ce livre revêt une importance marquante pour l’historiographie de la charité et de l’assistance au Québec au XXème siècle. Non seulement fait-il la lumière sur l’origine, la constitution et le fonctionnement des deux fédérations financières catholiques (francophone et anglophone) mises sur pied dans les années 1930 à Montréal mais, débordant une stricte histoire institutionnelle, il s’attache à comprendre les divers processus (bureaucratisation, professionnalisation, sécularisation et étatisation) qui expliquent l’évolution de la pratique caritative entre les années 1930 et le début des années 1970. Bien au-delà d’un simple examen de l’organigramme des deux fédérations, l’ouvrage met en évidence les enjeux qui ont été au cœur de leur création, de leur développement et de leur transformation. Ce faisant, il montre que le souci de rationaliser le domaine de la charité, s’il préfigure l’émergence de l’État providence, est un phénomène loin d’être linéaire ; tout au contraire, il a été marqué par un lot de tensions et de conflits imprégnant l’ensemble des réseaux catholiques montréalais, des dirigeants jusqu’aux bénéficiaires, qui reflètent les rapports de pouvoir dans les deux collectivités. Cette recherche originale basée sur un éventail d’archives privées et publiques, écrites et orales se distingue par son ampleur intellectuelle et son souci de la nuance qui vont faire en sorte que ce livre deviendra vite une référence fondamentale pour un vaste spectre d’études touchant tant cette période que les riches thématiques analysées.
L’ONTARIO
Craig Heron, Lunch Bucket Lives: Remaking the Worker’s City. Between the Lines, 2015.
Lunch Bucket Lives est non seulement une condensation impressionnante d’histoire sociale du dernier demi-siècle, mais il est également un examen profondément respectueux de la vie complexe des Hamiltoniens alors que la ville devient Steeltown. La maîtrise irréfutable des sources primaires et secondaires de Heron donne lieu à une discussion riche en détails sur la vie de la classe ouvrière au travail, à la maison et dans la communauté. En démontrant comment l’intersection de la race, de la classe sociale, du genre et de l’origine ethnique ont éclairé, formé mais aussi limité les réponses des travailleurs face à l’émergence du capitalisme industriel, Lunch Bucket Lives atteint une complexité d’interprétation qui mettra au défi ceux qui connaissent bien le sujet, la période et l’endroit. Tout bien considéré, Lunch Bucket Lives est une étude qui est égale à la « ville ambitieuse » qu’elle vise à documenter.
LES PRAIRIES
Michel Hogue, Metis and the Medicine Line: Creating a Border and Dividing a People. University of Regina Press, 2015.
Le livre Metis and the Medicine Line: Creating a Border and Dividing a People de Michel Hogue est tout à fait remarquable. Hogue a écrit l’histoire de la diplomatie frontalière et de la formation de l’État dans une perspective autochtone. En traçant, entre autres, l’histoire de la famille d’Antoine Ouellette et d’Angélique Bottineau, Metis and the Medicine Line nous offre une histoire personnelle captivante ainsi qu’une nouvelle analyse comparative de la chasse au bison, de la résistance, des relations entre les Métis et les Premières nations, de la colonisation et de l’immixtion du Canada et des États-Unis dans les plaines de l’Ouest. C’est un livre à lire pour son interprétation et que l’on peut apprécier pour son récit bien conçu.
Prix honorifique
Hugh Dempsey
Don Smith qualifie Hugh Dempsey de « doyen des historiens de l’Alberta. » Auteur de 22 livres, éditeur de 17 autres et rédacteur durant 60 ans à Alberta History, archiviste et conservateur à la Fondation Glenbow, Dempsey a joué un rôle central dans la préservation du patrimoine de l’Alberta. Tout au long de sa carrière, Dempsey s’est intéressé principalement à la vie d’Albertains fascinants.
Son mariage avec Pauline Gladstone a initié ses relations avec les Premières nations du Traité 7. Ses liens étroits avec les aînés qui ont survécu lui ont offert une porte d’entrée exceptionnelle à leurs traditions orales et ont mené à l’écriture de biographies des membres des Premières nations basées sur une nouvelle perspective autochtone, dont « Crowfoot », « Tom Three Persons », « Big Bear » et plus récemment « The Great Blackfoot Treaties ». Combinant l’histoire orale à la recherche d’archives rigoureuse, ses livres bien connus ont redéfini la façon dont nous percevons l’histoire de l’Alberta. Il a reçu de nombreux honneurs, y compris un doctorat honorifique de l’Université de Calgary ainsi que l’Ordre du Canada. Au moment de sa retraite en 1991, le Glenbow l’a nommé chef conservateur émérite et la salle de lecture de la Bibliothèque et des Archives porte maintenant son nom. Sa plus grande fierté est d’avoir reçu le titre de chef honoraire de la nation Bloods et le nom Potaina, le nom du grand-père de sa femme. L’engagement indéfectible de Hugh envers la préservation, la recherche et l’écriture de l’histoire fait de lui un récipiendaire digne de ce prix honorifique.
LE NORD
Emilie Cameron, Far Off Metal River: Inuit Lands, Settler Stories, and the Making of the Contemporary Arctic. UBC Press, 2015.
Far Off Metal River d’Emilie Cameron se penche sur les suites de l’un des plus (tristement) célèbres évènements de l’histoire du Nord canadien. Cameron propose un examen sophistiqué et nuancé de l’importance historique à long terme du célèbre récit de Samuel Hearne sur le massacre à Bloody Falls en 1771. Bien que les débats sur la véracité du récit de Hearne font rage depuis qu’il a été publié en 1795, Cameron tourne notre attention sur une question fondamentale : l’importance de l’utilisation Qallunaat (non-Inuit) de l’histoire du massacre entre le moment de sa publication et le XXIe siècle. Cameron explique que l’histoire du massacre importe, qu’il ait eu lieu ou non, car elle a profondément influencé la façon dont les étrangers perçoivent et considèrent les peuples autochtones du Nord, l’extraction des ressources et les revendications autochtones depuis que le récit du massacre a capté leur attention. Basé sur un large éventail de sources aussi variées que les écrits de Hearne, la mémoire d’Autochtones, des carnets de voyage d’explorateurs, des documents gouvernementaux, des pièces de théâtre, de la poésie et de l’art, Far Off Metal River invite les lecteurs à jeter un nouveau regard sur cette histoire vieille de 250 ans.
LA COLOMBIE-BRITTANIQUE
Lisa Pasolli, Working Mothers and the Child Care Dilemma: A History of British Columbia’s Social Policy. UBC Press, 2015.
L’étude de Lisa Pasolli relate les efforts des femmes en Colombie-Britannique pour assurer et / ou offrir des services de garde d’enfant pour les mères au travail tout au long du XXe siècle. Elle affirme que les défenseurs ainsi que les critiques ont invoqué des concepts tels que « le droit légitime » dans leurs mobilisations pour ou contre la garde d’enfant. Elle démontre la façon dont la politique sociale à cet égard a répondu aux besoins du marché du travail, à la vulnérabilité économique des mères et aux philosophies de développement de l’enfant. Pasolli examine les opinions émises au XXe siècle sur la capacité – et le droit – des femmes au travail d’avoir accès à des services de garde dans le cadre d’un débat plus large sur les contributions à la société qui sont reconnues et valorisées, et comment elles le sont. Pasolli contribue à notre compréhension de la façon dont la « citoyenneté sociale » a été définie pour récompenser la contribution des hommes à l’économie du travail et qui perçoit les hommes comme étant les principaux gagne-pain et donc chefs de leurs familles. Elle explique comment les débats sur les politiques de garde d’enfant de la Colombie-Britannique étaient liées aux efforts visant à redéfinir les termes de citoyenneté sociale de façon à reconnaître les contributions des femmes, que ce soit à titre de participants à l’économie du travail ou en assurant la gestion de leurs maisonnées et de leurs familles. Elle aborde habilement la question de savoir qui est digne du soutien de l’État d’une toute autre façon en illustrant comment l’absence de soins abordables et accessibles a contribué à exclure les femmes des privilèges de la citoyenneté sociale.
Certains de ces concepts sont d’une simplicité trompeuse. Les mères au travail ont démontré une excellente éthique du travail et ont été louangées en temps de guerre, mais elles ont aussi été critiquées pour avoir demeuré dans leur emploi tout en élevant des enfants en temps de paix. La prestation de services de garde en période de forte demande de main-d’œuvre devient essentiellement une politique d’emploi ; son retrait pendant les périodes relatives de surplus de main-d’œuvre constitue plutôt une décision de privilégier le travail des hommes, tout en exigeant des femmes qu’elles s’occupent de l’éducation des enfants et de la maisonnée, deux fonctions à temps plein non rémunérées. Dans une telle conjecture sexospécifique concernant la place des femmes, la mère au travail qui demandait un service de garderie était dépeinte comme « un problème » par ses critiques. Si l’on considérait que les mères au travail poursuivaient une carrière pour soulager des besoins financiers (plutôt qu’un désir de poursuivre un métier ou de travailler à l’extérieur de la maison), la solution politique était alors de fournir des allocations aux mères. Les allocations aux mères (et les programmes sociaux connexes) ont été conçues pour subventionner les femmes à un point tel qu’elles demeuraient à l’écart du marché du travail rémunéré et pouvaient ainsi se consacrer entièrement aux soins de leurs propres enfants.
Pasolli conclut que l’existence d’un « malaise profond envers les mères au travail » est le facteur principal pour expliquer l’absence de programmes et d’une politique adéquate de service de garde d’enfant au Canada en général et plus particulièrement en Colombie-Britannique. Le résultat est que la question a été reléguée vers les politiques de l’aide sociale (et parfois de l’éducation) plutôt que vers les politiques de citoyenneté et des droits. Dans un tel contexte, ce sera la demande féministe pour le droit au civisme social intégral qui saura consolider les services de garde d’enfant. Pasolli offre une perspective britanno-colombienne sur un scénario qui se déroule de manière très différente au pays mais où les mêmes thèmes sont dominants. Une autre qualité particulièrement concluante de cette œuvre remarquable est qu’elle sert également à informer le discours contemporain et nous rappelle que l’histoire est une façon d’informer le présent.
Prix honorifique
Robin Fisher
Au cours de sa brillante carrière, Robin Fisher a contribué à bien des égards à l’étude de l’histoire de la Colombie-Britannique et il s’est taillé une réputation pour sa rigueur intellectuelle, son analyse minutieuse, son écriture concise et ses pensées inspirantes.
Retraçant l’itinéraire emprunté par James Cook quelque 200 ans avant lui, Fisher a quitté son pays natal, la Nouvelle-Zélande pour étudier à l’Université de la Colombie-Britannique. Sa recherche a par la suite été publiée dans sa première monographie, Contact and Conflict: Indian-European Relations in British Columbia, 1774-1890, parue en 1977, trois ans après qu’il ait joint les rangs du personnel enseignant du département d’histoire à l’Université Simon Fraser.
Contact and Conflict redonne le pouvoir aux Autochtones dans le but d’établir un juste équilibre avec le récit impérial de l’exploration européenne sur la côte Ouest. Il fait valoir que le commerce dans le Pacifique Nord-Ouest a été caractérisé par des stratégies et des priorités autochtones, des objectifs distincts et certains personnages qui ont minutieusement modelé les termes du commerce. Fisher a identifié le phénomène des « avantages réciproques » comme étant une force déterminante dans l’étude du passé de la région. Contact and Conflict demeure l’un des livres incontournables sur les Premières nations et l’histoire de Colombie-Britannique. Le livre a bien résisté aux critiques qui ont été faites envers les perspectives, les arguments et les preuves de Fisher. Le débat que son œuvre suscite toujours est preuve qu’elle demeure l’une des plus importantes, sinon la plus importante, des monographies jamais écrites sur le sujet. Le livre n’a pas reçu la reconnaissance qui lui était due tout simplement parce que les prix Clio ont été créés deux ans après la parution de celui-ci en 1977.
Les monographies qu’il a écrites par la suite, ses contributions à BC Studies et ses projets de collaboration nous permettent de mieux comprendre l’histoire de la Colombie-Britannique. Il a rédigé, en collaboration avec Hugh Johnston, Captain James Cook and His Times en 1979 et From Maps to Metaphors: The Pacific World of George Vancouver en 1993. Il a également travaillé avec Jack Bumsted, éditant An Account of a Voyage to the North West Coast of America in 1785 and 1786 en 1982 et avec Ken Coates sur Out of the Background: Readings on Canadian History, qui a été réédité deux fois depuis. Fisher est également à l’origine d’une collaboration à l’échelon départemental unique en son genre sur le projet Pacific Province: A History of British Columbia, qui constituait une mise à jour importante sur ses propres travaux antérieurs sur le contact et le commerce. Sa deuxième contribution majeure, une biographie du premier ministre « Little New Deal » de la Colombie-Britannique, Duff Pattullo of British Columbia, a remporté une mention honorable du prix Clio en 1992 et demeure toujours une biographie historique exemplaire et une contribution majeure à la littérature sur l’histoire politique en Colombie-Britannique.
Fisher a déménagé à Prince George en 1993 pour fonder un département d’histoire à l’University of Northern British Columbia. À titre de directeur fondateur du département, il a joué un rôle clé pour y attirer une équipe de chercheurs spécialistes du Nord britanno-colombien. Il a poursuivi son implication dans l’enseignement et dans la recherche sur l’histoire de la province durant toute cette période, même après sa promotion au poste de doyen. En 2002, il a été recruté au poste de doyen de la Faculté des arts à l’University of Regina et trois ans plus tard, il est devenu vice-président à l’enseignement et recteur au Mount Royal College de Calgary, guidant le collège vers l’obtention du statut d’université en 2009. L’appui de Fisher envers la recherche et les étudiants autochtones s’est manifesté dans son rôle dans la construction du Centre Iniskim pour lequel il a été honoré par les anciens Pieds-Noirs qui lui ont également donné un nom Niitsitapi, Stum eek see yaan, avant sa retraite en 2013.
Fisher a enseigné à des milliers d’étudiants de premier cycle et supervisé des dizaines d’étudiants des cycles supérieurs au fil des ans. Il préconise aussi vigoureusement le rôle de l’intellectuel dans l’espace public et la nécessité pour les historiens universitaires de communiquer leurs découvertes au-delà des tours d’ivoire. Fisher continue de poursuivre des recherches, d’établir des normes élevées comme auteur et d’intervenir publiquement et collectivement sur des questions reliées à l’histoire de la Colombie-Britannique. Nous honorons ce parcours avec ce prix Clio 2016.