Récent.e.s lauréat.e.s

Les prix Clio
L’ATLANTIQUE
Gregory M.W. Kennedy, Something of a Peasant Paradise? Comparing Rural Societies in Acadie and the Loudunais, 1604-1755, McGill-Queen’s University Press, 2014.
Something of a Peasant Paradise? de Gregory Kennedy est un ouvrage important qui promet de transformer durablement l’historiographie concernant l’Acadie et la Nouvelle-France. Les Acadiens du XVIIIe siècle, descendants de quelques centaines de colons français du XVIIe siècle, habitaient dans une colonie frontalière ayant changé de mains dix fois entre 1604 et 1713, dans le cadre de la rivalité entre les empires britannique et français. Entre 1755 et 1763, les autorités britanniques ont expulsé de force environ 10 000 Acadiens des Maritimes. Bien que dispersées, la plupart des communautés acadiennes ont réussi à maintenir une identité distincte. La ‘Renaissance acadienne’ du dix-neuvième siècle a produit une forte identité collective transnationale, ancrée dans l’expérience coloniale des ancêtres.
Jusqu’à ce jour, les études historiques portant sur les Acadiens d’avant la Déportation ont souvent spéculé sur l’autonomie ou l’oppression des Acadiens ainsi que sur leur richesse ou leur pauvreté. Pour sortir de ces oppositions basées sur des spéculations, Kennedy propose une comparaison originale entre les Acadiens habitant le nord de l’Amérique et les Français habitant le canton de Loudun dans la région Poitou-Charentes. Basée sur des recherches approfondies dans les archives françaises, la comparaison proposée par Kennedy se justifie par le fait qu’un nombre important de colons acadiens du XVIIe siècle provenait de cette région, elle-même une zone frontalière durant les guerres de religion en France au XVIe siècle. Bien que l’inventaire des archives acadiennes soit plutôt maigre, Kennedy a reconstruit des portraits quantitatifs et qualitatifs de l’environnement, de l’économie, de la culture, des modèles familiaux et des structures politiques communautaires de la colonie, concluant que l’expérience des Acadiens avait été comparable à celle d’une communauté contemporaine de paysans français. Il soutient que la vie en Acadie était probablement moins idyllique et plus familière aux paysans et aux seigneurs français que ne l’ont soupçonné de nombreux chercheurs.
Cela ne signifie toutefois pas que Kennedy n’ait pas vu de différences entre les Acadiens et les Loudunais. Si certaines études récentes sur la formation d’une identité acadienne ont souligné que la Déportation a été une expérience formative, Kennedy affirme que les colons ont construit une société distincte basée sur les liens familiaux dans un contexte environnemental et politique unique. En cela, ils étaient semblables aux Canadiens, aux Loudunais et aux Français d’autres communautés qui étaient « sujets » du roi de France, sans pour autant être « Français » au sens nationaliste du terme. Cette découverte nous permettra d’enseigner l’histoire acadienne d’une façon plus holistique dans l’avenir. En reconnectant l’Acadie au monde atlantique français et en promouvant des comparaisons tangibles, Kennedy ouvre la voie à des enquêtes plus approfondies sur les thèmes du changement et de la continuité dans la formation de la communauté acadienne. Ses conclusions seront largement discutées et sûrement contestées. C’est ainsi que Gregory Kennedy offre une nouvelle perspective qui orientera la conversation.
LE QUÉBEC
Steven High, Oral History at the Crossroads. Sharing Life Stories of Survival and Displacement, Vancouver et Toronto, UBC Press, 2014.
Steven High et son équipe ont recueilli les histoires de vie de Montréalais qui ont quitté leurs pays d’origine en raison de guerres, de génocides et d’autres violations des droits humains. Cheminant à l’écart des sentiers battus, ils ont choisi de partager leur autorité de chercheurs avec les participants, brouillant les frontières traditionnelles qui les séparent. Au-delà de la collecte et du sauvetage mémoriels, ils jettent des ponts entre générations, entre communautés culturelles et entre celles-ci et les universitaires. Ils explorent ainsi divers usages de l’histoire orale et en multiplient les retombées par une diffusion multimédia qui mise par exemple sur les arts de la scène et sur la mise en ligne d’interviews. Globalement, Steven High rend compte d’une impressionnante et étonnante expérimentation d’histoire orale dont toutes les étapes sont scrutées dans une démarche réflexive qui redessine le potentiel et les limites de ce type d’enquêtes.
L’ONTARIO
Jennifer Bonnell, Reclaiming the Don: An Environmental History of Toronto’s Don River Valley. Toronto: University of Toronto Press, 2014.
Les résidents du sud de l’Ontario connaissent probablement la vallée de la rivière Don comme étant le site de la Don Valley Parkway, également connue sous le nom de stationnement de la vallée du Don. Les résidents qui habitent la région connaissent la rivière Don comme étant une voie d’eau polluée, non navigable qui débouche sur le lac Ontario dans un site post-industriel délabré. Les citoyens intéressés par la politique dans la région métropolitaine de Toronto la connaissent aussi comme un sujet de débats sur le renouvellement urbain et riverain. Dans Reclaiming the Don, Jennifer Bonnell expose les différentes significations attribuées à la rivière Don et comment elle a été perçue et utilisée au cours de plus de deux siècles de colonisation européenne. Rédigé clairement et basé sur une recherche exhaustive de l’histoire de la région, cet ouvrage offre une histoire fascinante de la relation entre la rivière et la région qu’elle traverse.
L’étude de Bonnell s’étend sur plusieurs siècles de l’histoire de l’Ontario. Après avoir discuté de l’utilisation de la rivière par les communautés autochtones comme ressource importante avant le contact européen, Bonnell retrace la façon dont « la Don » a été réinterprétée par les premiers Européens tels que John Graves Simcoe et Catharine Simcoe qui l’ont comprise dans le cadre de l’imaginaire pastoral anglais et l’ont ainsi dépeinte comme une voie de transport et une source de vitalité. Elle explique ensuite comment cette rivière en est venue à devenir le point de sortie pour les eaux usées et les déchets industriels de la région de Toronto alors que la ville l’entourant était en pleine expansion. Finalement, elle aborde les nombreuses tentatives faites pour relancer, reconstruire et réexaminer – essentiellement récupérer – la rivière Don, sa vallée et son estuaire. Cette œuvre complexe et nuancée conjugue habilement histoire sociale, politique, économique, et environnementale en utilisant la rivière Don comme un prisme à travers lequel l’histoire de la région et de ses habitants est racontée.
LES PRAIRIES
PearlAnn Reichwein, Climber’s Paradise: Making Canada’s Mountain Parks, 1906-1974. University of Alberta Press, 2014.
Dans son ouvrage intitulé Climber’s Paradise : Making Canada’s Mountain Parks, 1906-1974, PearlAnn Reichwein adopte une approche qui mélange allègrement l’histoire culturelle, l’histoire des loisirs et l’histoire de l’environnement. Étudiant le Club alpin du Canada, l’auteure démontre que l’histoire du club suit en parallèle et contribue tout à la fois au développement des parcs situés dans les montagnes Rocheuses au cours du XXe siècle. Abordant des sujets allant de la commercialisation du matériel d’escalade à l’organisation des forces d’opposition à l’aménagement hydroélectrique dans le parc, elle a écrit un livre qui intéressera plusieurs catégories d’historiens du XXe siècle. Dans sa conclusion, elle présente des arguments très puissants sur l’histoire de l’environnement, le changement climatique et notre relation avec la nature et les montagnes. Le livre est tout simplement passionnant. L’intégration de nombreuses images et d’encadrés sur une variété de sujets le rend encore plus attrayant pour ceux et celles qui ne proviennent pas du milieu universitaire.
LE NORD
Ted Binnema, Enlightened Zeal: The Hudson’s Bay Company and Scientific Networks, 1670-1870. Toronto: University of Toronto Press, 2014.
Enlightened Zeal étudie la participation de la Compagnie de la Baie d’Hudson aux recherches scientifiques dans les régions arctiques et subarctiques du Canada au moment où elle avait un monopole commercial sur ces régions, soit de 1670 et 1870. La science constituait un élément essentiel du travail CBH : elle répondait à l’intérêt et aux ambitions de ses dirigeants, contribuait à sa réputation et influençait le débat concernant l’avenir de la région.Reposant sur une recherche approfondie en archives ainsi que sur des sources publiées, cet ouvrage contribue à une meilleure compréhension des pratiques scientifiques et de la signification du savoir scientifique durant cette période. Il nous éclaire plus particulièrement sur le contexte social dans lequel ces recherches ont été effectuées, la relation de la compagnie avec l’exploration, les conséquences politiques de ces recherches (y compris l’expansion territoriale canadienne et américaine) ainsi que leur rôle dans les relations de coopération entre les Autochtones et la CBH. L’auteur situe également son travail dans le contexte plus vaste de la recherche scientifique. Enlightened Zeal est une étude novatrice sur l’histoire de la science dans un contexte d’une compagnie monopolistique. Plus encore, en explorant les réseaux qui unissaient les dirigeants de la CBH en Amérique du Nord aux directeurs et aux scientifiques de la compagnie en Grande-Bretagne et ailleurs, Binnema contribue à notre compréhension de la façon dont le savoir traversait le continent et l’Atlantique du 17e aux 19e siècle et incite à une réévaluation du paradigme traditionnel en histoire des sciences opposant le centre à la périphérie. Son ouvrage ambitieux éclaire sous un jour nouveau notre compréhension de l’histoire du Nord du Canada et de l’histoire de la science canadienne et impériale.
LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Dominique Clément, Equality Deferred: Sex Discrimination and British Columbia’s Human Rights State, 1953-84. Vancouver: UBC Press, 2014.
Equality Deferred situe les expériences individuelles de ces femmes et leurs luttes juridiques dans le cadre de l’État basée sur les droits de la personne. Clément montre quand et comment la législation concernant les droits de la personne a été utilisée pour lutter contre l’inégalité entre les sexes entre 1953 et 1984, une période marquée par des changements politiques publiques et des « innovations » juridiques. (15) Cependant, l’incapacité de l’État à combattre la « discrimination systémique » est également reconnue (13). L’une des principales conclusions de l’auteur est d’ailleurs que cette ère d’innovation politique dynamique n’a pas abouti à une progression uniforme de l’égalité des droits pour toutes les femmes.
Clément explique également comment l’application des droits de la personne en Colombie-Britannique différait par rapport à ce qui se passait dans les autres provinces canadiennes, démontrant du même coup l’importance des contextes provinciaux spécifiques. Le recours à certaines études de cas éclaire d’une manière intéressante les interprétations quant aux droits de la personne ainsi que leur application au niveau local. L’importance de la nomination de Kathleen Ruff à titre de première directrice de la Direction des droits de la personne et les contributions faites par l’équipe d’enquêteurs qu’elle a embauchée illustrent l’importance de tenir compte des expériences individuelles et locales. Clément remarque également des variations régionales importantes dans l’application des droits de la personne en Colombie-Britannique selon la population active, les taux provinciaux d’immigration et les précédents établis concernant le harcèlement sexuel et les droits des homosexuels. Il affirme que la Colombie-Britannique fournit une étude de cas idéal pour le Canada, car la province était « l’épicentre d’un conflit sur la nature et la légitimité de l’État des droits de l’homme. » (21)
Clément nous offre ainsi une monographie historique basée sur une recherche solide et engagée. L’inclusion au sein de l’ouvrage d’histoires individuelles concernant la lutte de certaines femmes pour la reconnaissance de leurs droits ainsi que la discussion du contexte politique lors de cette période charnière de notre histoire met en évidence quelques bonnes intentions, mais également l’influence de notions moins généreuses en Colombie-Britannique. Ce livre constitue dont un exemple de ce que peut être une histoire engagée.
PRIX HONORIFIQUE
Le comité souhaite attribuer ce prix en reconnaissance de l’engagement d’Elsie Paul aux récits et aux enseignements des Sliammon et pour la remercier d’avoir bien voulu partager ses récits avec nous. Si la connaissance historique est plus valable quand elle influence le présent, les histoires d’Elsie Paul sont inestimables pour le peuple Sliammon actuel et les générations futures, ainsi que pour tous les Britanno-Colombiens. Le comité estime que cette recommandation est également un moyen permettant aux historiens et aux historiennes de témoigner leur respect envers d’autres aînés des Premières Nations et autres auteurs qui ont grandement contribué au développement de l’histoire autochtone (la collaboration entre Harry Robinson et Wendy Wickwire, le travail de Julie Cruikshank avec les aînés Angela Sidney, Kitty Smith et Annie Ned de la nation Tlingit, le travail de Robin et Jillian Ridington avec les Dunne-zaa ainsi que la collaboration de Bridget Moran et de Mary John sur la vie au Lejac viennent à l’esprit, parmi tant d’autres partenariats réussis). Les historiens et les anthropologues ont contribué à faire imprimer les récits oraux, mais le dévouement des conteurs et leur compréhension de la valeur de leurs propres histoires ont rendu cet effort possible.
Bien que Paige Raibmon et Harmony Johnson aient habilement capturé les connaissances et les histoires de Paul sous forme écrite dans l’ouvrage intitulé Written as I Remember It: Teachings (??ms ta?aw) from the Life of a Sliammon Elder, Elsie Paul demeure pleinement l’auteure de l’œuvre. C’est sa voix que le lecteur entend à chaque page. C’est sa détermination à partager ses enseignements et ses histoires suivant sa propre trame narrative qui rend sa contribution si inestimables et fait de ce livre beaucoup plus qu’une biographie. C’est elle qui a insisté sur la façon dont son histoire serait racontée et préservée. Paul voulait que ses enseignements soient disponibles à un public plus large. À cette fin, elle a passé des années à discuter avec des universitaires, des journalistes et des membres de sa parenté. Elle a passé des heures devant les micros et bien d’autres encore à lire et relire les versions modifiées de ses mots. Elle a consenti à ce processus afin de préserver plus que des mémoires. Comme l’a noté Raibmon, « Elsie est une conteuse sérieuse… . Elle prend le pouvoir des mots au sérieux et ainsi raconte des histoires afin de transmettre une connaissance utile, qui peut potentiellement guérir ». (4) La publication récente de Written as I Remember It: Teachings (??ms ta?aw) from the Life of a Sliammon Elder est l’aboutissement de toute une vie au service de l’histoire, de la langue et de la culture Sliammon et de ses précieuses contributions à la mémoire institutionnelle de la Colombie-Britannique.