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Theodore Binnema, Le Centre de recherche des Cantons de l’est / Eastern Townships Research Center, Shelagh D. Grant, Cole Harris, William Westfall, William C. Wicken

Les prix Clio

2003

Le Canada atlantique
William C. WickenMi’kmaq Treaties on Trial: History, Land and Donald Marshall Junior (University of Toronto Press, 2002).
Cette étude originale et agréable à lire franchit élégamment le temps pour explorer et expliquer les origines historiques d’un problème contemporain complexe. Fondé sur une interprétation soignée de trois siècles de documents juridiques, le livre permet au lecteur de mieux comprendre les politiques des Mi’kmaq et les relations impériales «diplomatiques», du XVIIIe au XXe siècle; il illustre également la difficulté d’avoir recours à l’histoire et aux arguments historiques devant les tribunaux contemporains. Par son analyse du traité de paix et d’amitié de 1725-1726 signé entre les Mi’kmaq et le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, William Wicken nous fait mieux connaître la société mi’kmaq du XVIIIe siècle et les relations entre autochtones et Blancs. Il explique avec force détails que la conclusion des traités pendant l’ère coloniale était un processus complexe; il offre un aperçu du rôle joué par la tradition orale et l’histoire savante dans les procès relatifs aux droits autochtones.
William Wicken a bien saisi la structure sociale des Mi’kmaq, leurs liens de parenté et les caractéristiques de leur économie. Il explique que pour les Mi’kmaq, la rédaction d’un traité s’inscrivait dans une relation continue. Par conséquent, interpréter juridiquement un traité en l’isolant de tout autre contexte empêche une juste lecture de la représentation historique. Par ailleurs, William Wicken établit efficacement que la Nouvelle-Écosse n’a pas relevé de la juridiction des autorités militaires britanniques pendant une bonne partie du XVIIIe siècle. En analysant le sens de plusieurs clauses des traités pertinents, il affirme que les desseins des Britanniques étaient somme toute modestes. Selon lui, ceux-ci auraient eu l’intention de créer une catégorie juridique qui aurait régi les liens de la Couronne avec les Mi’kmaq. L’auteur démontre avec conviction que les Britanniques s’étaient mépris sur la nature de l’alliance unissant les Français et les Mi’kmaq. Sa conclusion, à l’effet que les Britanniques croyaient avoir plus accompli par leur approche que par la conclusion de traités, est très significative. Mi’kmaq Treaties on Trial sera d’un grand intérêt pour les étudiants en histoire, en science politique et en droit, et donne aux chercheurs et aux étudiants la preuve irréfutable de l’utilité et de l’importance de l’histoire.

Le Québec
Le Centre de recherche des Cantons de l’est / Eastern Townships Research Center
Le sous-comité reconnaît la contribution remarquable du CRCE/ETRC à la diffusion de l’histoire régionale au Québec. Depuis maintenant vingt ans, à partir de l’Université Bishop’s, le CRCE/ETRC offre aux chercheurs et chercheuses en histoire de l’Estrie un encadrement méritoire et digne de mention. Il témoigne à la fois de l’excellence de la recherche de pointe d’historiens et d’historiennes reconnus, ainsi que du souci louable de vulgarisation historique exprimé par cet organisme, grâce à ses lancements d’ouvrages, à la publication d’un bulletin exhaustif et à la tenue d’une conférence annuelle rejoignant un large public. Le CRCE/ETRC révèle l’effervescence d’une recherche de qualité produite en région, recherche qui s’exprime dans les deux langues à l’image de la richesse historique de l’Estrie. Afin de commémorer dignement le vingtième anniversaire de cet organisme, le sous-comité Québec tient à attribuer un prix Clio 2002 pour l’ensemble de l’apport du Centre de recherche des Cantons de l’est / Eastern Townships Research Center.
Paul-Louis Martin, Les fruits du Québec. Histoire et traditions des douceurs de la table (Septentrion, 2002).
Quel livre savoureux! Le lecteur ne peut être que conquis par la nouveauté du sujet traité, la rigueur et la richesse de la recherche, la plume élégante et claire de l’auteur, la facture agréable et exquise du livre. Dans la foulée des études novatrices des Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, Paul-Louis Martin nous rappelle un monde de saveurs que l’on croît à jamais derrière nous avec la mondialisation des échanges. En se penchant sur l’histoire de ces fruits et de leurs terroirs, éléments du quotidien sinon de l’ordinaire, l’auteur use avec grand bonheur des apports de l’ethnologie, de l’économie et de l’histoire, mais aussi de la botanique, de l’agronomie et des sciences naturelles à la connaissance du passé québécois, des premiers peuplements amérindiens aux différentes régions du Québec contemporain. Avec doigté, Paul-Louis Martin retrace l’influence multiforme de l’institution religieuse catholique – ne serait-ce par la dénomination des diverses variétés végétales – mais aussi les effets des multiples transferts culturels qui, par le biais de la nature, modèlent la société québécoise. Enfin, il fait découvrir au lecteur fasciné l’existence d’un « patrimoine végétal » autochtone, patrimoine qui ne se limite pas seulement à l’invention des traditions culturelles. Apport majeur et novateur à l’historiographie québécoise, l’ouvrage de Paul-Louis Martin constitue une étude surprenante et remarquable que le lecteur, le plus exigeant soit-il, ne peut que dévorer à pleines dents. À l’unanimité de ses membres repus, le sous-comité Québec attribue son prix Clio 2002 (ouvrage) à Paul-Louis Martin et à son livre délectable, Les Fruits du Québec. Histoire et traditions des douceurs de la table.

L’Ontario
William WestfallThe Founding Moment: Church, Society, and the Construction of Trinity College (McGill-Queen’s University Press, 2002).
Ce petit livre est tout simplement un bijou. Avec esprit, sympathie et un sens développé de l’ironie, William Westfall raconte l’histoire de l’évêque Strachan et de la campagne qu’il a menée avec conviction pour faire reculer les forces modernes de la sécularisation et pour ériger à Toronto, au milieu du XIXe siècle, une société conservatrice et centrée sur Dieu. Furieux de voir que l’État s’était saisi du University College, Strachan riposta en fondant le Trinity College. Cette institution financièrement indépendante dispensait des cours obligatoires sur la «physiologie et ses liens avec la théologie naturelle» et sur les «Éléments de l’histoire ecclésiastique», matières enseignées par des hommes qui, se vantait Strachan, étaient à la fois érudits et distingués. Le Trinity College devait être «une maison chrétienne» où les jeunes hommes apprendraient à vivre, comme les enfants avec leur mère, selon les principes les plus élevés de la moralité chrétienne. Le moment de gloire fut bref pour Strachan : ses successeurs, accusés d’infantiliser leurs étudiants et de s’éloigner du consensus de l’Église, assouplirent peu à peu les règles et firent bientôt tomber les barrières religieuses que Strachan avait si soigneusement érigées. L’auteur intègre adroitement l’histoire institutionnelle avec l’histoire de l’éducation, de la religion, du gouvernement, de la masculinité, de la famille et de «l’invention de la tradition». Très agréable à lire, remarquablement fouillé et finement analysé, The Founding Moment est de l’histoire culturelle à son meilleur.

Les Prairies
Theodore BinnemaCommon and Contested Ground: A Human and Environmental History of the Northwest Plains (University of Oklahoma Press, 2001).
Common and Contested Ground est une monographie révolutionnaire. Dans ce vaste survol historique des plaines du Nord-Ouest, de l’an 200 à 1806 (l’année où Lewis et Clark explorent le haut Missouri), Theodore Binnema décrit soigneusement les liens complexes qui unissent sur une longue durée la géographie, les animaux et les hommes. Il remet en question le principal paradigme anthropologique des groupes culturels; en s’intéressant plutôt à des individus, à des bandes et à des événements marquants, il constate que l’organisation sociale des peuples des plaines est déterminée par les liens de parenté et par l’environnement. Pour comprendre comment se sont formées les bandes et les coalitions régionales, Theodore Binnema analyse l’interaction entre les bisons et les chasseurs, ainsi que les relations interethniques entre les Pieds-Noirs, les Cris, les Assiniboines, les Shoshoni, les Arapahos, les Gros-Ventres, les Gens des Corbeaux, les Hidatsa, les Salish et les Têtes-Plates. En combinant l’histoire environnementale avec l’histoire diplomatique et politique, l’auteur a repensé l’histoire des autochtones des plaines du Nord-Ouest. Son livre développe une argumentation originale et présente un nouveau modèle d’analyse; il stimulera sans aucun doute les débats et encouragera de nouvelles recherches dans le domaine.

La Colombie-Britannique
Cole HarrisMaking Native Space: Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia (UBC Press, 2002).
Cet impressionnant ouvrage aborde une question cruciale en Colombie-Britannique : la dépossession territoriale des Premières nations. Le géographe-historien Cole Harris, ancien récipiendaire du prix Clio, fait ici une «narration historique sur le changement géographique», ce qui l’amène à examiner le processus de colonisation de la province par le biais de la création du système des réserves. Pour mettre en place ce système, on a fait fi des titres autochtones, on s’est approprié les terres, et on a créé 1 500 petites réserves pour y parquer les peuples des Premières nations. Tout en faisant remarquer que le discours colonialiste était à la fois complexe et contradictoire, Cole Harris entame son livre par une discussion sur la nature capricieuse de la politique impériale au milieu du XIXe siècle. Il rappelle ensuite les étapes de la colonisation de la Colombie-Britannique jusqu’en 1938, année au cours de laquelle les réserves indiennes de la province furent officiellement transférées au gouvernement du Canada. Selon l’auteur, les années 1870 furent déterminantes, car c’est pendant cette décennie que l’on assista au rejet d’une orientation politique qui favorisait une répartition foncière plus généreuse pour les autochtones et leur ouvrait la porte à l’autonomie gouvernementale. Tout le livre fait écho aux voix souvent discordantes du British Colonial Office, des gouvernements colonial et provincial, du gouvernement du Canada, des colons et des autochtones. L’auteur consacre son dernier chapitre à l’analyse de la situation actuelle, fort difficile; repoussant la politique de l’assimilation, Cole Harris préconise plutôt une politique de la différence pour les questions de terres, de ressources et d’autonomie gouvernementale. Un tel changement marquerait le début d’une nouvelle relation entre les autochtones et les sociétés de colons.
Écrit avec élégance et servi par une recherche exhaustive, ce livre passe adroitement des théories sur le colonialisme aux discussions détaillées et prosaïques qui s’engagent entre les commissaires fonciers et les chefs autochtones au sujet de la superficie et de l’établissement de certaines réserves. Une cinquantaine de cartes illustrent quelques cas spécifiques. Making Native Space est un incontournable pour tous les étudiants qui s’intéressent au passé et au présent de la Colombie-Britannique.

Le Nord
Shelagh D. GrantArctic Justice: On Trial for Murder, Pond Inlet, 1923 (McGill-Queen’s University Press, 2002).
Shelagh Grant a mené une recherche fascinante et particulièrement minutieuse sur le meurtre de Robert Janes commis par des Inuits de l’île de Baffin en mars 1920. Janes avait été tué par Nuqallaq; cet Inuit du nord de l’île de Baffin agissait conformément à la coutume inuite qui justifie l’assassinat à titre préventif d’une personne agressive et menaçante. Nuqallaq et ses collègues avaient décidé d’abattre Janes pour se protéger, et ils parlaient d’un acte d’autodéfense. Toutefois, les autorités canadiennes ne voyaient pas la chose du même œil. Dix-huit mois après le forfait, un officier de la Royale gendarmerie à cheval du Nord-Ouest enquêta sur cette affaire et recommanda que Nuqallaq et deux autres complices soient inculpés de meurtre. Il y eut un procès et Nuqallaq fut condamné à dix ans de travaux forcés au pénitencier de Stony Mountain au Manitoba. Il n’y resta cependant que dix-huit mois, puis fut relâché; il retourna à Pond Inlet, où il mourut quelques mois plus tard de la tuberculose.
Le meurtre de Janes persuada le gouvernement canadien qu’il était grand temps qu’il affirme sa souveraineté sur cette partie de la fédération trop longtemps laissée pour compte. Arctic Justice décrit l’affrontement difficile et tendu entre deux systèmes de justice, l’inuit et le canadien. Il révèle quelles motivations politiques et stratégiques ont incité le gouvernement canadien à intervenir fermement dans cette région. Comme elle l’avait déjà démontré dans des ouvrages précédents sur le prolongement de l’autorité gouvernementale dans le Nord canadien, Shelagh Grant prétend que le mobile d’action du gouvernement canadien était sa préoccupation d’établir sa souveraineté sur ce territoire éloigné. L’originalité du livre tient au fait que l’auteure procède à une analyse pénétrante de la réaction des Inuits face au meurtre, à l’enquête policière et au procès qui s’ensuivit.
La force du travail de Shelagh Grant réside dans le récit détaillé et soigneusement reconstitué du meurtre, ainsi que dans la fine mise en contexte de ce meurtre, des démarches policières et du traitement de l’affaire par les autorités canadiennes politiques et judiciaires. Le livre se démarque particulièrement des autres ouvrages en histoire nordique par l’immense effort que l’auteure a déployé pour recueillir des témoignages oraux et pour les utiliser dans la recomposition et l’explication des événements; c’est aussi grâce à ces témoignages qu’elle a pu établir le cadre de références culturelles dans lequel se sont déroulés le meurtre et le procès. En somme, Shelagh Grant a publié un superbe ouvrage d’ethnohistoire qui exploite adroitement les atouts de la documentation archivistique et orale tout en respectant à la fois les critères de la science historique et les traditions historiques des Inuits de l’île de Baffin. Arctic Justice est bien illustré et comporte des cartes utiles et instructives, des reproductions de documents historiques et d’autres documents iconographiques judicieusement choisis. Shelagh Grant a écrit un brillant ouvrage, pertinent et passionnant : elle mérite assurément de remporter le prix Clio en histoire nordique canadienne.