Récent.e.s lauréat.e.s

Les prix Clio
Le Canada atlantique
N.E.S. Griffiths. From Migrant to Acadian: A North American Border People, 1604-1755. Montréal and/et Kingston, Canadian Institute for Research on Public Policy Administration, McGill-Queen’s University Press, 2005.
Naomi Griffiths est considérée depuis longtemps comme la plus éminente historienne anglophone de l’Acadie d’avant la déportation, et le livre From Migrant to Acadian, qui mérite cette année le prix Clio de la région de l’Atlantique, est sans contredit son chef-d’œuvre. Elle y consolide et élargit l’interprétation qu’elle avait déjà donnée de l’évolution du peuple acadien, du début du XVIIe siècle jusqu’à sa déportation au milieu des années 1750. Elle examine avec force minutie comment un petit nombre disparate de migrants, ballottés par les rivalités entre les puissances impériales qui tantôt les négligeaient par malveillance, tantôt leur portaient une attention ambivalente, se sont graduellement forgé une société et une identité uniques. La nature du peuple acadien est un sujet qui a soulevé tellement de débats entre chercheurs et écrivains que même son historiographie est devenue matière à histoire. Naomi Griffiths connaît sur le bout des doigts et saisit les moindres arguments de ces discussions passées et actuelles, même lorsque les sujets traités débordent le cadre de son érudition par ailleurs fort vaste. Son livre constitue une synthèse à la fois riche et subtile d’histoire sociale, diplomatique et culturelle, qui tient finement compte des contextes impérialistes tout en se situant dans un cadre d’étude identitaire postcoloniale, où les thèmes traditionnels et contemporains viennent s’éclairer mutuellement plutôt que s’entrechoquer. From Migrant to Acadian est, pour toutes ces raisons, un remarquable ouvrage de recherche, qui se distingue par sa démarche exhaustive, sa facture magistrale et son traitement nuancé du sujet. Il est peu probable qu’une œuvre supérieure à celle-ci soit publiée de notre vivant.
Le Québec
Magda Fahrni. Household Politics: Montreal Families and Postwar Reconstruction. Toronto, University of Toronto Press, 2005.
Cette étude constitue un apport majeur à l’histoire sociale, politique et culturelle non seulement de Montréal, mais plus largement du Canada durant l’immédiat après-guerre. Elle permet en particulier de considérer sous un angle neuf l’intervention du gouvernement fédéral en matière de politique familiale en faisant ressortir le rôle dynamique joué par des mouvements citoyens qui militèrent pour faire de la famille un enjeu public de première importance. Ainsi loin de considérer cette période comme celle de l’imposition libérale d’un certain modèle social , l’ouvrage innove en nous faisant découvrir, à partir de cas concrets, tout un espace de négociations, d’innovations et de contestations largement méconnu. A bien des égards, il s’agit d’une étude dont les conclusions obligeront une relecture des origines de la Révolution tranquille québécoise. Entre autres, une place plus grande devra désormais être faite à la parole des « gens ordinaires ». L’analyse, très solidement théorisée et bien campée dans l’historiographie est soutenue par des recherches empiriques d’une étendue remarquable alors que l’auteur utilise une grande variété de sources émanant de toutes les composantes de la société montréalaise. Inventif dans ses procédés narratifs et méthodologiques, clairement et intelligemment écris, l’ouvrage séduit , passionne et convainc.
L’Ontario
Isabel Kaprielian-Churchill. Like Our Mountains: A History of Armenians in Canada. Montreal and/et Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2005.
Voici une des analyses les plus évocatrices qu’il nous ait été donné de lire sur la question de l’intégration d’un groupe ethnique dans le « Nouveau Monde ». L’étude détaillée et réfléchie d’Isabel Kaprielian-Churchill réussit brillamment à concilier avec finesse deux points de vue : celui de l’initié et celui, impartial, du chercheur. L’auteure ne réifie jamais la communauté arménienne, qu’elle dépeint plutôt comme un groupe complexe et parfois divisé de personnes qui ont partagé des histoires (et des épreuves) communes, mais qui les interprètent de différentes manières selon les époques. L’auteure sait pertinemment que l’ethnicité est influencée par les croyances religieuses, le sexe, la classe sociale et le moment de l’arrivée au Canada. L’ouvrage est sciemment dépouillé de rhétorique savante, de sorte qu’il peut être lu à la fois par le grand public et par les spécialistes, comme le souhaite l’auteure. Isabel Kaprielian-Churchill a mené une recherche exhaustive basée sur l’audition de nombreuses entrevues ainsi que sur l’examen de riches fonds d’archives et d’un large éventail de sources publiées. Le style est vivant et évite l’écueil appréhendé du sentimentalisme. Like Our Mountains: A History of Armenians in Canada relate avec brio les efforts qu’ont déployés pendant plus d’un siècle les membres d’un groupe ethnique pour s’implanter au pays, notamment en Ontario.
Les Prairies
Bill Waiser. Saskatchewan: A New History. Calgary, Fifth House, 2005.
Dans Saskatchewan: A New History, Bill Waiser nous présente une description et une analyse détaillées de la Saskatchewan considérée à la fois comme une collectivité et comme une province. Non seulement ce livre synthétise-t-il les plus récentes recherches sur la Saskatchewan, y compris celles significatives de l’auteur, mais offre-t-il aussi la première histoire provinciale des Prairies dont la trame intègre entièrement l’histoire des Premières nations. La démarche de l’auteur est intéressante et originale. Au lieu d’entamer son ouvrage avec une étude du commerce de la fourrure et des systèmes socio-économiques des Métis et des Autochtones, il plonge le lecteur directement en 1870 en lui décrivant les ambitions territoriales des colonisateurs et les moyens inefficaces et désordonnés qu’ils ont mis en œuvre pour transformer les Autochtones en citoyens de la composante économique du nouvel ordre. L’auteur entrelace dès le premier chapitre les trajectoires narratives sur les Autochtones, les colons et le gouvernement : cette approche méthodologique constitue l’une des bases structurantes du livre.
Tout en expliquant les tendances sociales, culturelles et économiques qui ont marqué le passé de la Saskatchewan, Bill Waiser ne perd pas de vue la « petite » histoire de la province. Le livre est en effet émaillé d’histoires personnelles d’individus remarquables et de personnes opprimées. L’auteur mesure l’impact des changements agricoles avec l’œil exercé d’un naturaliste, et à sa compréhension aiguë de la géographie se mêle une connaissance profonde des capacités d’adaptation de l’être humain. Il entraîne le lecteur au-delà des fermes des cultivateurs de blé et élargit sa perception géographique de la province en attirant son attention sur des événements régionaux, comme la relocalisation des fermiers pendant la Crise (établis dans le sud-ouest du territoire, ils furent déplacés dans les forêts nordiques de la province). C’est là une autre force de ce livre que d’enchâsser le Nord dans le cadre général du récit.
Le livre est bien écrit, agréable à lire, adroitement construit et organisé. Il n’ouvre pas de nouvelles pistes d’interprétation, mais il a le mérite de donner vie au passé de la Saskatchewan, ce dont lui sauront gré les chercheurs aussi bien que le grand public. Voilà une histoire qui commémore de façon exemplaire le centenaire de la province et qui résistera au passage du temps.
La Colombie-Britannique
Christine Wiesenthal. The Half-Lives of Pat Lowther. Toronto, University of Toronto Press, 2005.
Le comité a trouvé que The Half-Lives of Pat Lowther évoquait avec beauté et sensibilité la vie de la poète britanno-colombienne, dont les textes méritent d’être lus partout au pays. Dans son ouvrage, Christine Wiesenthal trace un portrait richement documenté d’une femme complexe, et offre une perspective nouvelle et fort bienvenue de l’histoire de la Colombie-Britannique dans les années 1960 et 1970. Le comité a été impressionné par la manière dont l’auteure a décrit les conditions de vie difficiles dans lesquelles Pat Lowther a composé ses poèmes : élevée dans un milieu familial et culturel austère, elle vécut pauvrement au sein de la classe ouvrière. Le comité a aussi loué l’auteure pour son examen nuancé des questions inquiétantes soulevées par le meurtre brutal de Pat Lowther et pour son analyse de la reconnaissance posthume de ses talents de poète. The Half-Lives of Pat Lowther fait œuvre de pionnier dans plusieurs domaines de l’histoire de la Colombie-Britannique. Il mérite certainement le prix Clio 2006 pour la région de la Colombie-Britannique.
Le Nord
Prix honorifique – William Barr
William Barr est sans contredit l’un des meilleurs directeurs de publications historiques et l’un des plus brillants experts en études nordiques au Canada. Géographe de formation, il s’est pris d’une passion inextinguible pour l’histoire et la géographie du Nord canadien, passion dont est imprégnée la série de superbes livres qu’il a publiés pour rendre compte de ses explorations et aventures dans les régions nordiques. Il a fait montre, dès ses tout premiers travaux, d’un constant souci de rigueur et d’un flair exercé de chercheur pour soulever des questions d’importance. Le soin qu’il a apporté à ses publications et l’exhaustivité de ses recherches ont fait de ses livres des modèles consommés de la pratique historienne. Les introductions de ses ouvrages sont en soi des textes savants hautement pertinents, où la vie d’un individu s’apprécie à l’aune du grand contexte social, culturel, économique et géographique dans lequel l’explorateur ou l’aventurier évolue. Les détails minutieux de ses livres, toujours illustrés de cartes superbement dessinées (on en attendrait pas moins d’un géographe !), témoignent du savoir encyclopédique de William Barr et de sa compréhension approfondie de l’histoire nordique.
L’œuvre de William Barr compte plus d’une centaine d’articles savants ainsi que des ouvrages aussi notoires que Overland to Starvation Cove (1987), The Expeditions of the First International Polar Year (1985), Searching for Franklin (1999), et A Frenchman in Search of Franklin (1992), pour n’en citer que quelques-uns. En traduisant en anglais d’importants ouvrages internationaux, il a mis des documents historiques d’une grande valeur à la portée d’un plus vaste lectorat et a ainsi contribué à mieux faire connaître les recherches entreprises par d’autres pays sur l’histoire des régions circumpolaires. Une des publications les plus réussies de William Barr est From Barrow to Boothia (2002) : il y reproduit une version finement éditée du journal tenu par Peter Warren Dease, un commandant de la Compagnie de la baie d’Hudson, et nous donne un aperçu critique fort attendu de la vie de cet explorateur trop longtemps oublié. Son livre le plus récent, Red Serge and Polar Bear Pants (2004), décrit la vie et l’époque d’un officier de la Gendarmerie royale du Canada, Harry Stallworthy; grâce aux renseignements qu’il a trouvés dans de volumineuses archives de familles, Barr a pu fournir une explication exceptionnellement détaillée du travail d’un membre de la GRC dans le Nord.
L’éclectisme de William Barr se confirme davantage avec sa toute dernière traduction de l’allemand du récit de Wilhelm Dege sur la dernière station météorologique allemande dans l’Arctique (publiée en 2004 sous le titre War North of 80). William Barr a énormément fait pour soutenir l’intérêt des chercheurs dans les explorations et la science des régions nordiques à une époque où l’étude de l’Arctique, de sa découverte et de ses aventuriers avait perdu beaucoup d’attrait. Il a ainsi produit une série d’études fondamentales que les scientifiques de toutes disciplines continueront d’exploiter avec grand profit. William Barr est professeur émérite à l’Université de Saskatchewan et est présentement associé de recherche à l’Arctic Institute, à l’Université de Calgary. C’est l’historien, l’éditeur, le traducteur et l’expert des régions circumpolaires que salue la Société historique du Canada en décernant à William Barr le prix Clio 2006 pour la région du Nord.